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avec confiance pour asseoir leurs jugemens sur des faits positifs. On ne parle depuis dix mois que d’organisation du travail. Qui possède des connaissances certaines sur les élémens à coordonner ? Personne, pas plus les agens de l’administration que les prétendus réformateurs. Nul ne pourrait dire, avec une exactitude suffisante, combien il y a de travailleurs salariés en France, comment ils se répartissent entre l’agriculture et les fabriques ; ce qu’il y a, parmi les ouvriers ruraux, de fermiers, de métayers où de manœuvres ; en quels nombres les artisans des divers métiers se classent entre les petits ateliers et les grandes fabriques ; par quelles filières et à quelles conditions le commerce exécute la distribution des produits fabriqués ; nul ne sait, en un mot, ce qu’il y a de légitime où d’exagéré dans les griefs des travailleurs. On est en quête d’expédiens financiers ; mais, comme on manque de renseignemens et d’études précises sur l’état réel de la propriété, sur l’agencement des transactions, sur cette mystérieuse infiltration qui fait pénétrer les parcelles de la substance produite jusque dans les profondeurs de la société, on s’agite dans le vague : toute idée féconde reste à l’état de rêverie ; plutôt que de s’aventurer dans l’inconnu, les hommes sur qui pèse la responsabilité des grandes affaires rentrent dans les voies battues, d’autant plus sûres, à leurs yeux, que les ornières y sont plus anciennes et plus profondes.

Cette ignorance des faits vient de se trahir encore une fois à l’occasion d’un projet dont l’adoption modifierait essentiellement notre régime financier, il s’agit de l’impôt sur les revenus mobiliers. En discutant, dans la séance du 3 août, la proposition relative aux créances hypothécaires, M. Thiers déclare que, « parmi toutes les contributions nouvelles, l’impôt sur le revenu est celui qui mérite le plus d’être examiné et même essayé. » M. Goudchaux interrompt l’orateur pour affirmer qu’il n’a pas besoin de leçons, que déjà un plan de cette nature a été préparé par ses soins, et qu’il sera présenté au premier jour. En effet, le 23 août, le ministre des finances dépose son projet. Sans le moindre retard, examen dans les bureaux, choix d’une commission, débats dans les comités, et dépôt, le 10 octobre, d’un rapport qui modifie profondément le système ministériel. La discussion est inscrite enfin à l’ordre du jour, et déjà le produit du futur impôt fait nombre pour 60 millions dans les prévisions du prochain budget ; mais ce même ministre, qui inscrit 60 millions en recettes pour l’année prochaine, avoue, dans son exposé des motifs, qu’on est réduit aux plus vagues conjectures sur les élémens et les effets du nouvel impôt[1]. La commission qui s’approprie, et le transformant, le

  1. L’opinion de M. Passy, énoncée incidemment, il y a quelques jours, à propos de l’impôt sur le sel, est que la taxe sur les revenus produira difficilement 30 millions. M. le ministre des finances veut-il dire que l’évaluation de son prédécesseur est trop élevée, où bien qu’elle sera considérablement réduite par des non-valeurs ? C’est ce que nous ignorons.