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la difficulté d’asseoir un tel impôt. Le bénéfice net est réalisé moins souvent en argent qu’en marchandises où en créances plus ou moins douteuses. À l’exception de quelques grands chefs d’industrie, de quelques maisons commerciales assez riches pour faire les frais d’une comptabilité exacte, nos trafiquans seraient bien embarrassés d’extraire le chiffre de leurs profits réels du bilan général de leur exploitation. La taxe rendrait même un grand service à beaucoup d’entre eux, si elle les forçait enfin à rechercher s’ils sont en perte ou en bénéfice.

Malgré les exceptions admises en faveur du propriétaire cultivateur et du fermier, les produits de l’industrie agricole retombent sous le coup de la taxe projetée dès qu’ils entrent dans le courant commercial pour affluer jusqu’au consommateur. Les individus qui spéculent sur la vente et même la préparation des alimens, boulangers, bouchers, charcutiers, fruitiers, aubergistes, restaurateurs, épiciers, limonadiers, marchands de vins, classe qui comprend assurément plus du quart des patentés, vont donc contribuer au nouvel impôt en proportion des bénéfices qu’ils se partagent. Le produit brut de l’industrie agricole, en y ajoutant ce que rapportent accessoirement la fromagerie, la charbonnerie, la meunerie, la pêche et la chasse, s’élève assurément à plus de 8 milliards. En admettant qu’une forte portion de ces denrées soit consommée sur place par les familles qui les ont créées, le surplus, versé dans le torrent des échanges, y détermine un roulement de 4 milliards au plus bas mot. Ce n’est pas trop que d’évaluer à 15 pour 100 les bénéfices commerciaux prélevés sur cette somme par les légions de revendeurs en gros et en détail. Le blé seul, que le paysan vend sur le marché de son village à raison de 20 à 25 centimes le kilogramme, est revendu 35 centimes en moyenne après la panification. Le vin, surchargé il est vrai par trois ou quatre impôts, coûte à l’habitant des villes dix fois plus cher que ne la vendu le vigneron. On peut donc avancer, sans crainte d’exagération, que le seul trafic sur les vivres répand entre 300,000 familles 600 millions de bénéfices nets, c’est-à-dire de revenus imposables.

Dans l’exploitation agricole, le grand ouvrier, c’est la nature ; dans l’industrie proprement dite, les forces créatrices sont le génie où le travail de l’homme. Toute marchandise fabriquée subit, avant d’être vendable, un certain nombre de transformations ; elle est conduite de comptoir en comptoir par des opérations de courtage ; elle est surchargée par des frais de transport proportionnés aux déplacemens qu’elle a occasionnes. Les bénéfices réalisés par chacun des manufacturiers ou négocians entre les mains desquels elle est passée s’additionnent dans son prix et en forment parfois une portion considérable. Une taxe sur les revenus doit constater et atteindre cette succession de bénéfices. Une balle de coton en laine, avant d’être achetée en détail par les femmes