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arrivé en présence de la vieille dame, vous aviez changé de nom cinq ou fois. » Lady Montagu avait, elle aussi, une fille sur laquelle toutes ses affections s’étaient concentrées ; elle se justifiait auprès d’elle, avec une bonne humeur touchante et le sentiment d’une douce expérience de la vie, de ses vieux enfantillages, et surtout de son goût pour les romans.

« Ma fille, ma fille, vous calomniez toujours mes plaisirs. Bagatelle, fatras, non-sens, voilà les noms que vous donnez à mon amusement favori. Si j’appelais la clé d’un chambellan un morceau de laiton doré, et les insignes des ordres les plus illustres des bouts de ficelle de couleur, philosophiquement je dirais vrai peut-être, mais comment serais-je accueillie ? Nous avons tous nos jouets, heureux quand on se contente de ceux qu’on a ! Celles-là sont les plus sagement dépensées de nos heures que nous passons à nous voiler les maux de la vie. Je trouve mon temps mieux employé à lire les aventures de personnages imaginaires que celui de la duchesse de Marlborough, qui passa ses dernières années à changer et à tourmenter son testament, cherchant mille moyens de vexer celui-ci, d’obtenir les louanges de celui-là, sans résultat, éternellement désappointée, éternellement rongée. Les scènes actives ne sont plus de mon âge : je me livre avec le plus d’art possible à mon goût pour la lecture. Si je voulais me borner aux bons livres, ils sont presque aussi rares que les hommes de bien : il faut que je me contente de ce que je trouve. À mesure que j’approche de ma seconde enfance, je m’efforce d’entrer dans les plaisirs de mon âge. Peut-être, en ce moment, votre plus jeune garçon enfourche un cheval de bois ; il ne regrette pas du tout qu’il ne soit pas d’or, encore moins voudrait-il le troquer contre un cheval arabe qu’il ne saurait conduire. Je lis un conte oiseux, je ne m’attends à y rencontrer ni esprit ni vérité ; je suis enchantée que ce ne soit pas un livre de métaphysique, qui mettrait ma raison à la torture, ou un livre d’histoire, qui égarerait mes opinions : voilà tout. Votre enfant fortifie sa santé par l’exercice, je calme mes soucis par l’oubli. Les deux méthodes peuvent paraître vulgaires aux gens affairés ; mais, s’il augmente sa force, lui, et si, moi, j’oublie mes infirmités, nous avons atteint tous deux, je vous assure, un résultat fort désirable. »

Curieuse destinée des romans, la jeunesse les garde à son chevet :

Moi qui n’ai que vingt ans, je prétends que l’Astrée
Fasse en mon cabinet encor quelque séjour,
Car, pour vous découvrir le fond de ma pensée,
Je me plais aux livres d’amour.


Et la vieillesse ne peut les laisser tomber de ses mains. C’est toujours le même mystère et le même néant de cette misérable vie, qui n’est supportable que lorsqu’on la regarde dans le miroir des chimères. Jeune, on se dresse sur la pointe des pieds pour y contempler la féerie des espérances naissantes ; vieux, on retourne la tête pour y endormir le regret à la dernière lueur des illusions.

Le plus illustre admirateur de lady Mary fut Pope ; heureux s’il n’eût voulu rester que son ami ! Vous savez ce qu’était Pope : un esprit de la trempe la plus fine, puissant même dans ses graces étudiées, mais pour corps une guenille ridicule, un petit avorton contrefait ; une lame d’or