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douter Cymbeline de sa fidélité. Tout à l’heure nous écoutions les mélodies de la nuit, maintenant c’est le tableau de ses pudiques mystères.

IMOGÈNE, lisant dans son lit — Qui est là ? C’est toi, Hélène ?

LA DAME D’HONNEUR — Pour vous servir, madame.

IMOGÈNE. — Quelle heure est-il ?

LA DAME. — Près de minuit, madame.

IMOGÈNE. — J’ai donc lu trois heures : mes yeux sont fatigués ; fais un pli au feuillet où j’ai laissé le livre. — Couche-toi ; n’emporte pas le flambeau ; laisse-le brûler. Si tu peux t’éveiller à quatre heures, je t’en prie, appelle-moi. Le sommeil m’a gagnée entièrement. (La dame sort.) À votre protection je me recommande, odieux ! Des fées et des tentateurs de la nuit préservez-moi, je vous en prie. (Elle s’endort. Jachimo sort du bahut.)

JACHIMO. — Les grillons chantent, et l’homme fatigué répare ses forces par le repos — Cythérée, comme tu es bellement entrée dans ta couche ! Lis frais et plus blanc que les draps ! que je puisse te toucher ! Seulement un baiser, rien qu’un ! Rubis incomparables ! C’est son souffle qui parfume la chambre ainsi ; — la flamme de la bougie se penche vers elle et voudrait soulever ses paupières pour voir les lumières qu’elles enclosent, maintenant couvertes sous ces fenêtres d’un blanc azuré bordé de bleu de la propre teinte du ciel. Mais il faut observer la chambre et prendre des notes. Tels et tels tableaux ; là, une fenêtre ; l’ornement de son lit ; — figures telles et telles. — Ah ! mais quelques notes naturelles sur son corps sont des témoignages dix mille fois préférables à des meubles pour enrichir mon inventaire. O sommeil ! image de la mort, appesantis-toi sur elle Qu’elle soit comme une statue couchée dans une chapelle ! Sors, sors. (Il enlève son bracelet.) Aussi coulant que le nœud gordien était serré ! Il est mien, et rien ne parlera aussi puissamment à la folie de son mari. Sur son sein gauche un grain de beauté, à cinq taches, comme les gouttes cramoisies au cœur d’une primevère. Voilà une preuve plus forte que la loi pourrait l’exiger ce secret connu de moi l’obligera de croire que j’ai forcé la serrure et pris le trésor de son honneur. Quoi de plus ! Pourquoi mettrais-je par écrit ce que j’ai là rivé, cloué dans ma mémoire ? Elle a lu tard la pièce de Térence : voilà marqué le feuillet où Philomène s’est interrompue. — J’en ai assez — Dans le coffre encore, et fermons-en l’issue. Je tremble. Quoiqu’elle soit un ange du ciel, l’enfer est ici. (La cloche sonne.) Un, deux, trois ; — il est temps, il est temps ! (Il se cache.)


En contemplant Imogène endormie, sous un regard impur et avide, dans la sérénité de ses chastes pensées, un tableau analogue, tracé par un poète antique, repassait devant mon imagination comme un contraste païen. Le peintre est Properce. Le témoin, ici, est le peintre amoureux, et la femme endormie est sa maîtresse. Le dessin est plein de vénusté, le coloris de fraîcheur et d’harmonie. Properce arrive chez Cynthia d’un pas alourdi par l’ivresse, à la lueur des torches secouées par les esclaves : elle dort appuyée sur ses mains incertaines. Le poète n’ose troubler son repos, craignant les reproches et les coups,

Expertae metuens verbera saevitiae.


Il demeure devant elle et joue autour de son sommeil avec mille