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eux-mêmes y descendre en soldats. Nous le disions tout à l’heure, nous aimerions mieux les garder pour le moment qui leur convient le mieux, mais il est des extrémités si pressantes, qu’il n’y a plus alors de réserve qui ne donne. En ces extrémités, il ne reste plus qu’à répéter l’ordre du jour de Nelson : la France attend que tout le monde fasse son devoir.

Nous n’en sommes pas là, Dieu merci, et cependant nous ne pouvons dissimuler que le cabinet a été assez maltraité Dès son début et par la fortune parlementaire, et qui sait ? comment nommer cela ?… par la fortune des cours. Un amendement de rencontre a privé le trésor d’une recette de 46 millions, en réduisant des deux tiers l’impôt du sel à partir du 1er janvier. Vainement M. Passy, avec l’exactitude ordinaire de ses calculs, avait ouvert sous les yeux de l’assemblée le gouffre béant de la banqueroute ; l’intérêt si urgent du trésor ne l’a point emporté sur certaines rancunes d’opposition, et, disons-le, sur les calculs électoraux d’un bon nombre de députés qui ont sacrifié le bien général au besoin de rafraîchir leur popularité. Ajoutons que ce vote ainsi mélangé n’était point précisément un vote politique, qu’il témoignait bien plutôt de l’irréflexion à laquelle peut céder une assemblée qui, s’étant estimée infaillible, s’est ôté tout moyen de se déjuger. M. Passy a donc été parfaitement conseillé, quand il a renoncé à déposer son portefeuille. M. Passy n’a point cru qu’il entrât dans le conseil pour siéger sur des roses ; il n’eût pas été digne de sa probité politique de lâcher pied à la première épine. Nous ne pouvons toutefois nous résoudre à blâmer beaucoup M. de Maleville, qui s’est pourtant retiré tout-à-fait. Chacun est juge de son honneur, et il y a tant de gens aujourd’hui qui en font bon marché, que nous ne nous résoudrons jamais à nous brouiller avec les scrupuleux, même en pâtissant de leurs scrupules. M. de Maleville, qui est un homme d’esprit et qui n’en ignore pas, avait pourtant oublié ce qui est écrit quelque part : Nolite confidere principibus ; le ministre Strafford répétait volontiers ces mots dans sa prison. M. de Maleville n’est pas encore en si méchant lieu, mais enfin il était l’ami du prince, ce qui ne réussit aux ministres, ni dans les monarchies absolues, ni dans les républiques démocratiques. Le président a trop compté sur son ami pour certains services un peu délicats ; il s’est ensuite trop dépité d’avoir compté sans son hôte, et il a écrit un billet napoléonien. M. de Maleville, qui est aussi bon gentilhomme que qui que ce soit, et par-dessus le marché personnage constitutionnel, n’a plus voulu rien entendre, et s’en est allé malgré les réparations très complètes de M. Louis Bonaparte. La morale de l’histoire, c’est qu’il faut de la patience dans toutes les politiques. À propos, nous allions oublier que M. Bixio s’était retiré par la même occasion : les uns disent par une autre ; nous disons, nous, par affection pure pour M. de Maleville ; M. Bixio est un homme aimable, qui, à ce qu’il paraît, s’attache beaucoup aux gens.

Le cabinet se trouve ainsi refondu, et, quoique cette refonte ne soit pas un affaiblissement, il ne se peut pas qu’il n’y ait toujours eu là quelque accroc. Espérons seulement qu’il est raccommodé. M. Lacrosse, vice-président de la chambre, remplace aux travaux publics M. Faucher, qui passe à l’intérieur, où la résolution, qui fait le fond de son caractère, trouvera plus de champ pour s’appliquer M. Buffet succède à M. Bixio. M. Buffet est un jeune représentant que l’estime spontanée des hommes les plus éminens est allée chercher dans sa mo-