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destie pour mettre à cette épreuve difficile tout ce qu’il a de connaissances sérieuses et de maturité précoce. M. Drouin de Lhuys, M. le général Rulhières, M. de Tracy, M. de Falloux, gardent les postes où les a élevés la juste considération qui les entoure. Le nom de M. de Falloux a jeté quelque émoi dans l’université. Il y a deux périls pour l’université : l’un est le péril à découvert, qui n’est point dangereux parce qu’on le voit ; l’autre serait que l’alma mater se laissât prendre aux séductions de gens qui s’appliqueraient à la dorer et à la galonner pour la claquemurer mieux dans l’étrangeté de ses titres et dans l’isolement de son mandarinat. L’université, naguère, a connu cette sorte de péril, et elle y mordait avec un certain charme. Ce n’est pas celui-là qu’elle court du vivant de M. de Falloux : M. de Falloux, fort heureusement, n’a jamais fait profession de l’idolâtrer, et la franchise de ses opinions, pas plus que la loyauté de son caractère, ne lui permettrait d’agir dans l’ombre ; c’est tout ce que nous demandons. Le temps n’est plus aux démolitions, et M. de Falloux lui-même a montré depuis quelques mois trop de sens politique pour toucher mal à propos à l’un des plus grands établissemens du pays. M. de Falloux a d’ailleurs inauguré son avènement par un acte qui l’honore ; il a rappelé dans les chaires du Collège de France les cinq proscrits de M. Jean Reynaud. Pourquoi donc s’est-il si fort pressé de désigner un successeur à l’illustre savant qui gardait nos archives nationales, et dont la perte nous afflige si particulièrement ? Il était difficile de remplacer tout-à-fait M. Letronne ; il suffisait de chercher pour le remplacer mieux.

Le ministère reformé a eu heureusement un succès dans la séance d’hier. M. Bac, après M. Lagrange et M. Buvignier, sommait le gouvernement de proclamer l’amnistie. M. Barrot a répondu avec fermeté que le cabinet y songeait, mais qu’on ne la demandait pas de manière à l’obtenir. Un ordre du jour voté par une majorité considérable lui a donné raison. Nous ne le cachons pas, nous aurions jugé opportun que le cabinet eût déjà un avis à formuler, et nous ne croyons pas, pour notre part, qu’on puisse hésiter en pareille question. Nous ne voulons pas surtout penser que M. Bac eût des raisons aussi sérieuses qu’il l’affirmait d’escompter à l’avance l’indulgence personnelle du président de la république. Accorder l’amnistie dans les circonstances où nous sommes, ce serait vouloir célébrer l’installation de la présidence par une largesse dont la société honnête et tranquille paierait tous les frais. La question de l’amnistie sera la véritable mesure de la force morale qu’il y a dans le gouvernement. Ce pays-ci n’a pas seulement perdu la notion du droit, il a perdu la notion de la peine, sans laquelle le droit n’a plus de sanction ; il ne sait plus où est le bien, parce que le châtiment ne lui montre plus assez où est le mal en y frappant toujours. Cette fausse clémence des philanthropes a plus gâté le cœur des masses qu’aucune autre corruption Ces pédans de charité se sont apitoyés d’une façon si touchante sur les misères des criminels, que les criminels ont rejeté leurs crimes sur la société tout entière en l’en accusant, et nous les avons vus s’écrier dans leur jactance, comme s’ils étaient des enfans et les enfans d’une marâtre : Que ne m’avez-vous nourri, je n’aurais ni tué ni volé ! Le sentiment de la responsabilité individuelle s’est ainsi profondément altéré ; l’individu, n’ayant plus d’amour pour sa liberté, n’a plus professé de respect pour la loi qui la réglait.