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d’effrontés charlatans se proclamer eux-mêmes des Christophe Colomb à chaque lieu commun qu’ils débitent à la multitude croissante des sots.

Ce caractère actif, mais exclusivement intellectuel et littéraire des réunions de Lamb ressort davantage lorsqu’on les compare, comme l’a fait M. Talfourd, à un salon dont la renommée a été plus célèbre, celui de lord Holland. L’hospitalité de lord Holland a laissé des souvenirs dans toute l’Europe polie. Holland-House était comme un salon français du XVIIIe siècle, mêlant aux élégances de l’esprit et du monde un souffle plus mâle de vie politique. Les lettres avaient une place d’honneur chez le noble neveu de Charles Fox, mais l’aristocratie et la politique y dominaient plutôt ; des hommes qui avaient un pied dans la politique et un dans les lettres, comme Mackintosh et Macaulay, étaient entre les deux mondes un vivant trait d’union. Là, tous les samedis, les chefs du parti whig venaient se délasser des combats de la semaine dans l’entretien des femmes brillantes, des poètes et des artistes. C’était une mêlée de toutes les supériorités et de tous les talens, animée par l’exquise urbanité de lord Holland, et où se trouvaient tout de suite à leur aise, comme dans leur élément naturel, le jeune peintre où le jeune écrivain qui coudoyaient pour la première fois de leur vie des pairs d’Angleterre ou des ambassadeurs. Un salon pareil, à côté d’un foyer exclusif de vie littéraire comme celui de Lamb, était un terrain neutre où se faisait la jonction des deux progrès, le progrès des idées et le progrès des choses, que nous définissions tout à l’heure. L’alliance est nécessaire, car la vie littéraire, séparée du monde, court risque de se corrompre dans la débauche d’esprit et l’orgie bohémienne. C’est cette alliance qui fut surtout pratiquée en France dans de meilleurs temps, lorsque des femmes soumirent, dans leurs salons, la littérature à leur autorité charmante. Noble et gracieuse royauté, qui commence à Mme de Rambouillet et finit avec Mme de Staël. Hélas ! notre génération deshéritée survit à tout ce qui fut autrefois la gloire et la séduction de la France.

Comment il se fait que Lamb soit devenu le centre de la littérature militante de son parti et de son école, vous l’aurez compris, si ces pages ont conservé une empreinte même affaiblie de son caractère. Lamb était une nature éminemment sympathique ; ses premiers malheurs, sa sollicitude héroïque et incessante pour sa pauvre sœur, avaient adouci encore son ame naturellement si tendre ; c’était un être inoffensif, et ses qualités touchantes gagnaient toutes les affections. D’ailleurs si bon ami ! Malgré la modestie de sa position, son économie lui permettait d’être généreux. Il était toujours prêt à rendre un service. Plusieurs fois, devinant la gêne passagère d’un ami, il lui arriva de mettre dans la poche de son gilet un billet de 50 où de 100 livres ; puis, rencontrant la personne qu’il avait en vue, il plaçait la somme dans ses