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Au-delà de la barre, et sur un espace de plusieurs lieues, le Niger ou plutôt la branche du Rio-Noun que remontait l’expédition, a l’aspect d’un vaste marais dont les bords sont cachés par les branches pendantes des mangliers, l’arbre des eaux salées. À la marée basse, à racines de ces végétaux apparaissent couvertes d’une argile vase exhalant une mauvaise odeur : c’est un foyer de fièvres mortelles, peu à peu, la scène change. Quand on a passé les limites de la marée haute, les mangliers au feuillage dur et triste disparaissent. Les rives prennent l’apparence de la terre ferme et se dessinent plus distinctement. Néanmoins on n’aperçoit encore aucun vestige d’habitations humaines, un calme et un silence imposans règnent sur les bords. On commence à voir s’élever les palmiers, dont les feuilles s’arrondissent et retombent gracieusement, puis les figuiers, les mimosas, les baobabs. Sur ce rideau de feuillages pendent, en guirlandes, les orchydées, les convolvulus blancs et pourpres, et enfin la scène est animée par les évolutions et par les gambades des singes curieux qui sautent de branche en branche, comme pour disputer aux navires le prix de la course, et par le vol des hirondelles noires, reconnaissables, dans l’éloignement, à la fine touche de blanc étendue sur leur queue.

Bientôt la forêt finit brusquement. De larges éclaircies attestent la présence et l’industrie de l’homme. La terre est défrichée et l’on aperçoit les greniers aériens de l’Afrique, deux longues perches plantées dans le sol et portant à l’extrémité les produits de la culture, qu’on met ainsi à l’abri des débordemens et de l’atteinte des quadrupèdes et des insectes. Enfin les habitans eux-mêmes se montrent ; ils regardent, étonnés, les « canots de feu, » puis ils se sauvent à toutes jambes et vont plus loin guetter, sous l’abri des joncs et des buissons qui garnissent la rive, le passage des hommes blancs. Un d’entre eux, plus hardi, s’aventure un instant sur le fleuve dans une des petites et légères embarcations du pays, mais tout aussitôt, comme effrayé de sa propre audace, il s’enfuit et se dérobe aux regards au fond de l’une des nombreuses criques que forme la rivière. Les villages paraissent à leur tour. Les habitans s’enhardissent dans les centres où la population est plus nombreuse et ne se croit pas exposée aux attaques des négriers. Le fleuve se couvre de canots. Chacun de ceux qui les montent veut grimper à bord des steamers. Ils apportent les produits du pays : des ignames, des figues-bananes, des patates, puis des poules et des chèvres. Les échanges commencent. Les blancs paient principalement avec des marchandises d’Europe. Les aiguilles sont fort recherchées par les femmes, et l’on s’en étonne, car le beau sexe du pays n’est pas assez embarrassé de vêtemens pour qu’on suppose rien à attacher où à coudre. Tous ces Africains sont fort vifs, très curieux et très bavards. Le bruit qu’ils font en causant entre eux devient