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LE CHÂLE VERT.

Après cet examen préalable, elle entra sur la pointe du pied et fit deux pas, élevant, pour mieux voir, le chandelier qu’elle portait. Ladislas, tout yeux et tout oreilles, retint sa respiration. Ne voyant rien d’inquiétant, la jeune femme avança vers la croisée. Elle rencontra la chaise renversée, la considéra un instant, se prit à sourire et regarda encore autour d’elle, puis elle vint déposer la bougie sur la cheminée. Ladislas sentit contre son œil le vent de sa robe de soie. Elle alla vers la fenêtre ensuite, observa long-temps le petit jardin, son allée, sa treille, ses massifs de fleurs ; enfin elle ferma la croisée, puis, revenant à la porte d’entrée, elle donna rapidement deux tours de clé à la serrure. Ces préparatifs de défense terminés, la jeune femme ôta son châle, et, toute souriante, vint à la cheminée dénouer ses longs cheveux. — Nous y voilà ! se dit notre amoureux, tremblant d’émotion ; la porte est close, mais le loup est dans la bergerie.

V.

Une semaine plus tard, Ladislas, revenu à Paris, se promenait à grands pas, d’un air fort agité, dans le logement de garçon dont nous avons parlé au début de ce récit. Il semblait en proie à la plus violente colère, et vraiment on se fâcherait à moins. Figurez-vous, madame, que, trois jours après son retour de Chantilly (car il lui avait paru convenable d’imposer trois jours de patience à son empressement), il s’était rendu, le cœur débordant, chez Mme de Mortemer, et qu’avait-il appris ? Il avait appris que M. et Mme de Mortemer, appelés par des affaires très importantes, étaient partis la veille au soir pour la Pologne. Cela était un malheur supportable ; mais ce qui était affreux, c’est que la jeune Polonaise, dont il apprit le nom alors, était du voyage. Elle avait quitté Paris avec eux. — Partie ! murmura-t-il, partie sans un mot, sans un souvenir ; c’est une abomination ! — Au dire du concierge, la blonde amie de Mme de Mortemer se nommait la comtesse Czernavoska, ou à peu près, car il ne se piquait pas de prononcer aisément les langues étrangères, et, selon lui, tous les noms polonais ressemblaient à un éternuement. Ce nom de Czernavoska, estropié sans doute, n’apprenait rien à Ladislas. Il consulta vainement ses souvenirs, il interrogea inutilement, en l’absence de la haute société polonaise, qui l’aurait sans doute mieux renseigné, quelques habitués du club de la rue Godot : ce nom, fort connu d’ailleurs et porté par beaucoup de personnes, n’en désignait aucune d’une façon précise. Demandez en France si l’on connaît M. Dupont, on vous répondra : Lequel ? Il y en a mille. Au reste, le nom n’importait guère ; elle était partie, partie pour la Pologne, pour le seul coin de terre où Ladislas, qui était banni, ne pouvait la suivre. Partie à l’improviste ! c’était une coquette ; moins que cela