— Eh bien ! j’ajoute en confidence, — tout-à-fait entre nous, — qu’elle se remarie.
— Elle se remarie ! s’écria Ladislas.
— Et pourquoi pas ? Voulez-vous qu’avec ses vingt-cinq ans et ces yeux-là elle reste éternellement veuve ? Elle se marie dans un mois à Berlin, et elle est venue, je crois, à Paris pour de grandes affaires de corbeille. Elle épouse le frère d’une de ses amies, qui a épousé elle-même un officier français, Mme de Mortemer.
— Mme de Mortemer !
— Vous la connaissez ?
— Je l’ai rencontrée.
— Maintenant que vous voilà bien renseigné, venez, que je vous fasse renouer connaissance avec ma belle comtesse.
La princesse passa son bras sous celui de Ladislas, qui obéit, tremblant d’émotion, à l’impulsion qui lui était donnée. En voyant venir vers elle la princesse et le jeune homme qu’elle reconnut tout à coup, la belle comtesse pâlit extrêmement ; ses yeux se dilatèrent, un tressaillement nerveux l’agita tout entière.
— J’espère, ma chère comtesse, que vous aurez meilleure mémoire que ce jeune homme, dit la princesse, et que vous le reconnaîtrez, lui qui persiste à ne pas vous reconnaître.
— Moi ! madame, balbutia la jeune femme, qui devint tout d’un coup rouge comme une grenade.
— Voyons, cherchez bien… N’avez-vous aucun souvenir de ce visage ? La jeune femme, interdite, jeta sur la princesse un regard suppliant.
— C’est fort mal à vous, chère belle, d’oublier ainsi vos amis, continua l’impitoyable maîtresse de maison, et les plus vaillans défenseurs de notre pauvre pays.
— Monsieur est Polonais ? hasarda en tremblant la jeune femme.
— Complètement Polonais. Vous voilà sur la voie, j’espère ? Allons, devinez… Mon pauvre Ladislas, vous êtes oublié, bien oublié ; et vous, chère comtesse, vous n’avez pas la mémoire du cœur. Un ami qu’on a tant aimé, on doit toujours le reconnaître, car vous lui avez dit tu et toi à ce beau jeune homme.
— En vérité, princesse ?…. murmura la malheureuse jeune femme, tour à tour blanche comme le marbre et rouge comme le feu.
— Vous voilà bien intriguée…. Allons, puisque vous ne devinez pas, permettez-moi de présenter à Caroline Pateska Ladislas Vaneski.
— Ladislas Vaneski ! répéta la jeune femme avec stupeur.
Notre ami s’inclina. Tous les deux se regardèrent avec un embarras pareil. La princesse s’éloigna et les laissa vis-à-vis l’un de l’autre.
Ladislas s’était distingué dans la guerre de Pologne ; quoique fort jeune alors, il avait affronté mille fois les batteries russes : il ne s’était