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partout, il doit offrir partout des moyens de résistance contre les usurpations des minorités factieuses. Le suffrage universel a une autre conséquence non moins rigoureuse : en donnant des droits politiques à chaque citoyen, il impose à chacun une responsabilité ; supposant chaque citoyen à la hauteur de sa responsabilité, le principe logique de la souveraineté populaire doit supprimer toutes les institutions qui ont retenu jusqu’à ce jour les citoyens sous une tutelle, et les émanciper dans tous les actes, dans toutes les fonctions de la vie publique. De là la nécessité de ranimer et de fortifier partout les libertés locales, les institutions communales ; de là la nécessité de relâcher partout le lien écrasant de la centralisation excessive qu’inventa le despotisme ; de là la nécessité de rendre partout les populations et les citoyens à leur spontanéité naturelle, à leur liberté. C’est ainsi que les libertés les plus complètes sont le produit nécessaire et en même temps le contrepoids légitime de la souveraineté du peuple. Décentralisation, libertés communales, libertés religieuses, liberté d’enseignement, sont les prérogatives inaliénables des citoyens actifs et responsables qui font partie du souverain. On ne pourrait pas, sans la plus monstrueuse inconséquence, leur donner d’une main le droit de nommer les représentans de la France et le chef du pouvoir, et leur refuser de l’autre le droit de veiller eux-mêmes à leurs affaires locales, ou d’élever leurs enfans dans les doctrines que leur conscience préfère. Le jour où le parti modéré aura ainsi organisé les forces naturelles et libres du pays à la base de la société, il sera facile de corriger les vices de la constitution dans une prochaine constituante.

Mais les garanties de conservation ne suffisent point aux peuples, ils veulent des garanties de progrès. La société est comme la terre, elle a deux évolutions : elle tourne sur elle-même par le travail intérieur quelle opère sur ses institutions, mais en même temps elle court toujours vers un but extérieur, sous l’empire d’une attraction invincible. La société est en marche : il ne faut pas qu’elle se débande ; mais elle ne peut s’arrêter, elle est obligée de reformer ses files en marchant toujours. Si vous ne savez pas indiquer à la société le but qu’elle poursuit, si vous ne possédez pas cet aimant fascinateur qui entraîne les peuples, si vous n’avez pas deviné la route de la terre promise, — qui que vous soyez, homme, classe ou parti, — vous serez sans puissance, vous êtes mort. Or, le but vers lequel marche aujourd’hui la société haletante est manifeste. La démocratie obéissant, il faut bien le dire, à un sentiment généreux et grandiose, veut de plus en plus affranchir l’homme de l’esclavage de la misère qui perpétue toutes les autres servitudes. La démocratie croit que tous les hommes peuvent arriver par des progrès successifs à des améliorations dans leur sort matériel, que la société doit travailler au soulagement continu de leurs souffrances.