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élevé, plus pacifique, plus conforme aux prédilections studieuses : c’est celui qui consiste, non pas à rendre la politique responsable des défaillances et des misères de l’art, mais à considérer cet art en lui-même, à voir comment il pourrait répondre aux nécessités, aux convenances du moment, quelles peuvent être sa place, son utilité, dans cette société chancelante entre la secousse d’hier et l’incertitude de demain ; par quels moyens enfin, au lieu de succomber comme tout ce qui est maladif et faible, aux atteintes qui le frappent, il réussirait comme tout ce qui porte en soi des élémens de force et de vie, à se retremper dans l’adversité même. On le voit, ce procédé est le plus généreux, le plus consolant, le plus fécond : tout en accordant, ce que personne ne conteste, que certaines révolutions sont désastreuses pour l’art, il cherche à prouver que l’art, comme la nature, son immortel modèle, peut trouver dans ces désastres un rajeunissement douloureux, et faire sortir de la destruction une fertilité nouvelle.

Ces catastrophes qui transforment subitement la société tout entière, dans ses plus légères surfaces comme dans ses plus intimes profondeurs, doivent exercer sur les choses de l’esprit deux influences contraires, bien qu’également logiques : d’une part elles détruisent, de l’autre elles excitent. Il y a en elles une faculté dissolvante qui annule les inspirations de la veille, rompt toute proportion entre l’œuvre, le modèle et l’auditoire, déplace toutes les conditions de succès et fane en un jour les idées les plus fraîches. En même temps, elles créent des aspects nouveaux ; elles introduisent dans le monde, dans les mœurs publiques et privées, des physionomies imprévues, qui sont autant de provocations et d’avances faites à l’art contemporain et prêtes à se traduire en œuvres originales et attractives ; œuvres enthousiastes, où le lyrisme et l’expansion dominent, si l’événement qui les suggère est réellement une conquête de l’esprit moderne, une étape de plus dans la marche des intelligences ; œuvres satiriques et railleuses, si la révolution qu’elles commentent ressemble à une méprise plutôt qu’à une victoire, si elle menace les distinctions de l’esprit non moins que celles de la fortune, si la civilisation, l’atticisme et le goût croient avoir de bonnes raisons pour se ranger du parti des retardataires, pour se plaindre qu’on les fasse aller trop vite, où même qu’on les verse en chemin. Ainsi, à défaut de lyrisme, une révolution doit inspirer la satire ; si Pindare et Tyrtée lui manquent, elle peut rencontrer Aristophane. N’empiétons pas ici sur les droits de cet Aristophane désiré, et évitons poliment de dire quel genre d’inspiration devait surtout provoquer ce qui s’est passé sous nos yeux.

Cependant, à côté de ceux que les révolutions dispersent où annulent, et de ceux qu’elles éveillent ou inspirent, il existe un troisième groupe, celui des studieux et des sages, qui, se renfermant dans leur sphère paisible, continuent, malgré la tempête, à se réchauffer aux rayons du beau, au souffle tiède et vivifiant de l’art pur, à peu près comme ces plantes précieuses, qui, défendues par un léger vitrage contre le givre et le vent, ne laissent accès auprès d’elles qu’aux rayons du soleil et aux brises printanières. La floraison de ces esprits d’élite n’est pas sujette aux variations de l’atmosphère extérieure ; ce qu’ils aimaient et recherchaient hier, ils l’aimeront et le rechercheront demain, sans que leur étude en soit moins ardente et moins opportune. Plus tard, à distance, lorsque se dissipe la poussière de la lutte, lorsque l’optique lointaine, changeant peu à peu chaque proportion, grandit ce qui semblait petit, diminue ce qui paraissait