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de se mettre un peu en frais, de dépenser noblement son revenu, d’encourager les talens nouveaux, de rappeler à lui les talens éprouvés, de répondre, en un mot, par quelque généreuse tentative aux flatteuses exceptions dont il profitait. Mais, dira-t-on, vous demandez à ce théâtre la comédie contemporaine, et, pour vous la donner, n’eût-il pas fallu manquer un peu de respect à ces pouvoirs nouveaux qui le protégeaient ? Sans doute, la tâche était délicate ; cependant, entre gens d’esprit, il y a toujours moyen de s’entendre : la démocratie n’eût pas été j’imagine, plus susceptible que Louis XIV ; on commence par dire au maître, grand roi, ou grand peuple, qu’on se garde bien de le confondre avec tout ce qui vient se chauffer à son soleil ; on commence par poser, comme préliminaires, qu’en attaquant les béotiens, les intrigans, les parleurs et les charlatans, en faisant la guerre aux mensonges, aux crédulités, aux rêves creux, on n’attaque que ce qui est ridicule, et non point ce qui est respectable. Pendant ce temps, l’épigramme va toujours son train, et complimens et malices, politesses et leçons, arrivent, l’une portant l’autre, à la même adresse, sous le même pli.

Nous regrettons d’autant plus de voir le Théâtre-Français manquer ainsi à ses attributions distinctives, que, s’il donnait satisfaction à ces légitimes exigences, nous pourrions nous abandonner avec moins de scrupule et plus de charme aux paisibles jouissances que l’on va demander, dans les temps d’orage, aux autres régions de l’art. Remarquez en effet que si, dans ces momens, le rôle de la littérature est essentiellement militant, celui des autres arts consiste surtout à nous distraire, à nous faire oublier les pensées sombres et les pressentimens sinistres. Rendons justice aux théâtres lyriques ; ils font d’honorables efforts pour nous offrir ces émotions douces et ramener leur auditoire un peu dispersé. L’Opéra continue de nous annoncer le Prophète. La république aura-t-elle son les son Robert-le-Diable ? On le sait : les prophètes du moyen-âge étaient quelque peu magiciens, et, si nous ne sommes plus au temps où on les brûle, nous sommes encore au temps où on les écoute, pourvu que ce soit Meyerbeer qui note leurs prophéties. En attendant, un début remarquable, celui de Mme de Lagrange, a mérité l’attention des connaisseurs : la voix de Mme de Lagrange a autant d’agilité que d’étendue ; par malheur, il y a dans sa manière une sorte d’exagération froide, qui, sans amoindrir ses qualités, en diminue le prestige. Un de ses torts a été de choisir pour ses débuts le rôle de Desdemona. Il y a des rôles si beaux, sur lesquels planent de si poétiques fantômes, que tout ce qui s’éloigne de cet idéal où de cette image nous paraît inacceptable. Qui de nous, parmi ceux du moins qui ont le malheur d’avoir été jeunes il y a quinze ans, n’éprouve, pour ainsi parler, un frisson de jeunesse rétrospective, lorsque la toile se lève sur ce sublime troisième acte, et que cette femme pâle et vêtue de blanc nous apparaît à demi penchée sur sa harpe, dont les préludes répondent aux pressentimens de son cœur ? C’est bien la même scène : la brise du soir glisse et murmure à travers cette fenêtre ; le chant du gondolier retentit, s’affaiblit et s’efface, souffle de mélodie uni au souffle des lagunes. La harpe vibre, l’orage approche ; Othello va venir. Shakspeare et Rossini sont là ; mais où est-elle, la Desdemona idéale ? Peut-être, si nous ne voyions passer l’ombre éplorée de la Malibran entre la scène et nos regards, eussions-nous encore mieux remarqué que Mme de Lagrange est une cantatrice de talent.

Le Thépatre-Italien rouvre ses portes ; il nous rend Lablache et Mlle Alboni.