Page:Revue des Deux Mondes - 1849 - tome 1.djvu/338

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Comment réussira-t-on à rien concilier, quand, en face de cette catégorie nécessairement mobile et turbulente, il y aura derechef l’espèce opiniâtre des Prussiens de vieille roche ? des gens du caractère de ce fabricant Harcort, un paysan enrichi, qui adressait hier aux Poméraniens la lettre original dont voici quelques passages (elle a été tirée à quatre-vingt mille exemplaires) : « Lorsque j’étais encore un enfant, bien loin de vous, dans la province de Westphalie, où mon père a sa maison, j’entendais raconter beaucoup de choses du grand Frédéric et de ses fidèles Poméraniens, et je disais, à part moi : Ne verrai-je donc jamais les bonnes gens de ce pays-là ? Lorsqu’en 1813 le peuple se fut levé comme un seul homme à l’appel de son roi, le jour du combat de Ligny, je vis enfin ces vaillans Poméraniens. Certes, il y avait là beaucoup de braves, des Prussiens, des Brandebourgeois, des Silésiens, des Westphaliens ; mais tout le monde ôtait son chapeau devant les collets blancs du régiment de Kolberg. C’était aussi un chevaleresque enfant de la Poméranie, ce colonel Zastrow, qui est héroïquement tombé devant la porte de Namur. J’ai vu cette année, en Belgique, la place où il repose, et j’ai pensé : Mieux vaut pour un sujet fidèle cette pauvre tombe en terre étrangère qu’un mausolée parmi des séditieux ! Oui, chers amis, les Poméraniens ont plus versé de sang pour la patrie que ne pèsent tous ces hypocrites, qui veulent vous tromper. Tenez ferme, et ne vous laissez point dérober la couronne que vos pères vous ont conquise ! » Qu’on ne s’y trompe pas, qu’on ne se fie pas à cette surface peu profonde sur laquelle s’implantent, comme une végétation éphémère, les idées où les manies prises à l’étranger : c’est encore ce langage-là qui touche en Prusse la grande majorité du pays ; il ne serait pas assurément difficile de le mener plus loin que nous ne voudrions nous-mêmes, en frappant avec quelque habile rudesse sur ces cordes sympathiques.

Malgré les éventualités qui peuvent ainsi obscurcir la perspective politique, Berlin se maintient, à l’heure qu’il est, dans une tranquillité profonde. Ce n’est pas, toutefois, que le gouvernement ne commette point de fautes, mais l’esprit public est tellement affaissé, que de justes griefs ne peuvent même pas l’émouvoir : on est si las du tapage auquel on s’était condamné depuis le mois de mars ! Le gouvernement poursuit aujourd’hui les députés signataires du décret par lequel l’assemblée, qui s’entêtait à siéger dans Berlin, avait commandé le refus d’impôt. Le cabinet autrichien s’est montré plus avisé et moins vindicatif. Une fois la diète transportée à Kremsier, il n’a recherché personne pour les actes plus ou moins irréguliers qui s’étaient accomplis à Vienne. Ces rigueurs rétroactives ne peuvent guère que susciter des embarras et ranimer l’esprit de parti dans les localités. Berlin n’en est pas moins heureux de se sentir en paix ; sa sève exubérante s’est tout d’un coup arrêtée ; on jouit du repos, on le savoure ; on croit avoir rêvé pendant neuf mois, mais le rêve était si orageux, qu’on n’a pas la moindre envie de le recommencer. Les bourgeois acceptent très volontiers de ne plus faire ni factions ni patrouilles ; le citoyen-soldat n’est pas beaucoup plus selon la nature de l’Allemagne que selon celle de l’Angleterre. Les étudians suivent leurs cours comme s’ils n’avaient jamais été des héros académiques ; les ouvriers eux-mêmes, et des ouvriers d’ateliers nationaux, battent des mains devant le cheval du général Wrangel, et ses soldats, casernés soit dans leurs quartiers, soit dans les monumens publics, au Musée, au théâtre de la place des Gendarmes, courent librement la ville où ils ont failli entrer en ennemis. Toutes les colères sont détendues jusqu’à permettre de croire