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gens-là ont voulu faire de la grande politique dans notre petit parlement, décider au bord du Neckar des grosses affaires du Danube et de la Sprée, dont on ne parlait pas déjà très bravement sur le Mein. Ils ont coupé tous les travaux utiles à force d’interpellations. Notre pauvre ministère a sans cesse été sur la sellette ; pour peu qu’il passât par la tête d’un prisonnier politique d’écrire quelque lettres impertinente, pour peu qu’on eût parlé dans les cafés d’un mouvement de troupe il fallait tout de suite s’expliquer, et le temps courait. » — N’est-ce pas en petit l’histoire de Francfort ? et, confessons-le, ç’a été bien souvent celle de Paris.

Si l’unité allemande aboutit là, l’unité italienne n’a pas de plus glorieuses destinées. Derrière les Alpes comme derrière le Rhin, ce sont les mêmes hommes tenant le même langage et brouillant tout, sous prétexte de tout embrasser. L’unité italienne, elle est représentée maintenant par les émeutiers de Gènes, qui ont créé, en vertu de leur souverain plaisir, le ministère Gioberti ; par les émeutiers de Livourne, qui ont fait des hommes d’état de MM. Guerrazzi et Montanelli ; par les émeutiers de Rome, qui vont nous donner la dictature de M. Sterbini. Ce personnel ne change même pas avec les lieux : ce sont environ deux ou trois mille individus qui se portent en nombre, à tel jour fixé, sur tel point marqué, et qui, passant et repassant à travers l’Italie, comme un peuple de comédie sur le théâtre, dissimulent leur minorité par leur audace. On se rappelle que dernièrement les Romains ont dû chasser de leur ville une foule d’étrangers qui finissaient par y remplacer les vrais citoyens, ce qui n’a pas empêché le ministère d’appeler à lui les clubistes de Florence pour célébrer, le 1er  janvier, la fête de la constituante, et pour perfectionner l’éducation politique du peuple romain. Voilà comment on prépare cette constituante romaine qui doit être le noyau de la constituante italienne : les exaltés de Rome s’allient aux exaltés de Florence, et ils crient tous ensemble, comme s’ils allaient se mettre en campagne avec les bénédictions du père Gavazzi et les quatre cents routiers du vaillant Garibaldi. Ce sont là les mains auxquelles les extravagances du parti républicain ont livré le drapeau de l’unité nationale en Italie, les grands génies qui doivent restaurer par la révolution démocratique et sociale cette malheureuse patrie à laquelle ils portent les derniers coups. On ne s’y prendrait point autrement pour attirer l’étranger chez soi : aussi l’Autriche, dit-on, de concert avec Naples et l’Espagne, veut intervenir en faveur du pontife exilé. La révolution italienne a menti à toutes ses promesses ; elle trahit tous ceux qui auraient pu la guider sagement et noblement, le pape Pie IX comme le roi Charles-Albert ; elle devient l’entreprise d’une poignée d’hommes qui fatiguent sans les soulever des populations amollies. Entre cette révolution avortée, qui devait donner l’indépendance nationale, et l’invasion étrangère, à laquelle on la voit maintenant aboutir, la France ne saurait oublier qu’elle a ses positions à garder. L’unité italienne disparaît comme l’unité allemande ; le temps des songes est fini ; nous rentrons dans la vie réelle, dont les conditions ne changent pas comme changent les fantaisies des rêveurs politiques. Faisons de la politique avec les réalités.



V. de Mars.