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l’échelle de la production, limiter les heures du travail, supprimer d’utiles intermédiaires entre le chef d’industrie et les ouvriers, livrer à la force la fixation des salaires, tout bouleverser sous prétexte de tout régler, souffler le désordre et la haine en faisant retentir le grand mot de fraternité, et pousser enfin à une lutte sanglante ces deux classes de la société qu’on s’était vanté de réconcilier et d’unir.

Faut-il maintenant se précipiter à l’extrémité opposée, et, par défiance du despotisme de l’état, rejeter son intervention tutélaire ? À ce compte, il faudrait dire que l’état a excédé son droit, le jour où il s’est décidé à protéger l’enfant contre la précocité meurtrière du travail des manufactures ! Exiger de certaines industries des précautions nécessaires pour la santé de l’ouvrier, ce serait une usurpation. Mais alors l’état aurait encore moins à s’inquiéter de l’état moral des classes populaires ; il n’aurait ni le devoir, ni même le droit de prémunir l’ouvrier et le laboureur, par une instruction suffisante et par une culture morale appropriée, contre l’abrutissement d’un travail mécanique ; il n’aurait rien à faire pour fournir à l’adulte les moyens de perfectionner son intelligence, rien pour donner asile à l’enfance abandonnée, à la vieillesse défaillante, à l’infirmité et à la faim, rien pour parer aux suites des crises industrielles, rien pour favoriser l’esprit d’association, pour ouvrir des sources de crédit, pour encourager l’épargne, rien, en un mot, pour seconder dans la société le développement du bien et prévenir l’accomplissement du mal !

Voilà où conduirait, poussé à ses dernières limites, le principe d’Adam Smith. Si les économistes et les philosophes sont unanimes aujourd’hui à le répudier ; s’il est bien reconnu que l’état n’a pas une mission toute négative, qu’il ne lui suffit pas de pratiquer la justice, mais qu’il doit exercer encore un ministère de prévoyance et de charité ; si désormais l’objet essentiel des méditations et des efforts de tout véritable homme d’état, c’est l’amélioration physique, intellectuelle et morale de la classe la plus nombreuse et la plus pauvre, il ne faut pas oublier que les écoles socialistes ont le mérite, je ne dis pas d’avoir inventé ce principe, mais de l’avoir propagé avec ardeur, et alors même qu’on penserait qu’elles ont beaucoup fait pour le compromettre et très peu pour le réaliser, ce ne serait pas moins une chose honorable que de s’être enflammé pour cette grande idée au point d’en vouloir tirer une religion.


Le socialisme n’est pas né d’hier. En signalant les deux principes qu’il exagère et corrompt par un mélange déplorable de brutalités et de folies, nous croyons avoir donné la clé de ses antiques origines et de sa vivace influence. Oui, l’association fraternelle des particuliers et l’intervention tutélaire de l’état sont les deux liens par où le socialisme du XIXe siècle se rattache à des tendances vieilles comme le monde, et