Page:Revue des Deux Mondes - 1849 - tome 1.djvu/352

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

qui ont déjà paru sous mille formes, toujours renaissantes, parce qu’elles ont leur racine dans l’éternelle ascension du genre humain vers le bien et vers le bonheur. Certes, s’il y a dans l’histoire deux grandes choses, dignes à jamais de l’admiration et du respect des hommes, c’est la philosophie de Platon et la religion du Christ. Eh bien ! dût cette assertion paraître hasardée et même scandaleuse, je dirai qu’il y a dans le spiritualisme platonicien, comme aussi dans le mysticisme évangélique, un germe de socialisme qui devait tôt ou tard se développer. Qu’on veuille bien ne pas m’accuser légèrement de prendre plaisir à donner au socialisme d’illustres origines. Je ne viens pas faire à Platon, ce bienfaisant et pur génie, l’outrage de rapprocher son nom divin de tel ou tel socialiste de nos jours. Je ne viens pas travestir Jésus-Christ en précurseur de la république démocratique et sociale. Loin de moi ces profanations stupidement odieuses qui ne peuvent inspirer à une tête saine que le plus profond dégoût : je veux dire une chose très simple et très certaine, c’est qu’il y a dans cette noble philosophie de Platon, dans cette sublime religion du Christ, tel principe qui, privé de ses justes contre-poids et tombant dans un esprit que la logique pousse jusqu’à l’absurde, ou que l’enthousiasme égare jusqu’au délire, aboutira nécessairement aux derniers excès du socialisme.

Qu’est-ce au fond que la république de Platon, berceau de toutes les utopies, depuis les Alexandrins jusqu’à Morus et Campanella, et depuis ces innocens rêveurs jusqu’aux dangereux sectaires de notre temps ? C’est l’exagération d’un principe vrai, savoir, la subordination de l’individu à l’état. Et qu’est-ce maintenant que cette église de Jérusalem, type primitif de la vie chrétienne ? qu’est-ce que l’existence monacale tout entière, imposant l’abandon absolu de toute propriété individuelle, et allant quelquefois jusqu’à la négation systématique de la propriété ? C’est un développement exalté de la fraternité évangélique, élevant le vrai chrétien à une telle ardeur de sacrifice, qu’il renonce à toute fortune personnelle, à sa famille, à son corps, à sa volonté, à soi-même, s’il était possible, pour s’immoler plus complétement au service de tous[1].

Platon a supérieurement vu que l’origine de tous les maux de la société, c’est l’excès de l’individualité, d’où il a conclu que l’individualité supprimée ferait la perfection de l’état. Voilà donc la guerre déclarée au moi ; il faut supprimer d’abord la propriété, qui en est le développement le plus naturel et le plus cher ; il faut aussi supprimer la famille, sorte d’extension et de prolongement de la personne. Il n’y aura plus qu’un seul propriétaire, ce sera l’état ; qu’une seule famille, ce sera

  1. On consultera avec fruit sur ce point deux excellens écrits : Les origines du socialisme, de M. Ozanam ; Le Communisme jugé par l’histoire, de M. Franck.