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aujourd’hui, avec modération, à la bourgeoisie française et à la monarchie, surtout quand on ne s’en cachait pas la veille de leur chute, c’est que toutes deux ont commis de grandes fautes. Allons droit à la principale, à celle qui résume toutes les autres.

La monarchie de juillet n’a pas assez fait pour les classes pauvres. Je parle sans exagération, mais aussi sans détour. Je ne dis pas que la monarchie déchue n’ait rien fait pour le peuple, ni même qu’elle n’ait point fait beaucoup pour lui. Ne lui eût-elle légué qu’un seul don, ou pour mieux dire payé qu’une seule dette, la loi sur l’instruction primaire, cela suffirait pour laisser d’elle une bienfaisante et impérissable trace dans l’histoire du développement intellectuel et moral des classes laborieuses. Pourquoi cette impulsion généreuse s’est-elle arrêtée si promptement ? Il faut l’avouer, la bourgeoisie s’est enivrée de ses succès. Elle a oublié qu’elle était la tutrice des classes inférieures ; que si les lumières, la propriété, les droits politiques, si tout cela était légitimement dans sa main, c’était à condition d’élargir sans cesse ses cadres, d’avoir les bras ouverts avec sympathie pour ces masses populaires qu’elle était désormais chargée de contenir et de satisfaire à la fois. La dignité, la grandeur de cette mission, ne furent point comprises. À tous les degrés de l’échelle sociale, on vit se déployer une tendance chaque jour plus énergique à transformer la bourgeoisie en une classe fermée, absorbant tous les droits, gouvernant seule et pour elle-même, n’ayant à compter avec personne. Peu à peu, le cercle allait se rétrécissant et laissait hors de son enceinte quelques intérêts froissés qui venaient grossir le torrent des mécontentemens populaires. Or, pendant que s’accomplissait ce mouvement dans les hautes parties de la société, en bas il s’en formait un autre en sens contraire, qui aboutissait au même résultat, savoir la séparation de la société en deux camps ennemis. Ce fut alors que ces mots sinistres, sans cesse répétés à l’oreille du peuple, l’aristocratie financière, la tyrannie du capital, l’exploitation de l’homme par l’homme, prirent une influence désastreuse. Les tribuns se déchaînèrent, l’un avec sa rhétorique enflammée, l’autre avec les hardiesses sans frein d’une dialectique haineuse, celui-ci par un gros livre, celui-là par des romans d’une saveur forte et d’une popularité déplorable. On disait aux ouvriers qu’ils ne sortiraient jamais de leur condition, qu’il y avait un parti pris de les clouer à la misère, de faire exploiter le travail honnête par le capital oisif et dépravé. En même temps on les berçait des plus belles espérances ; on déployait à leurs regards fascinés sous les noms d’organisation du travail, de travail attrayant, une sorte d’Éden dont l’idéale splendeur faisait paraître la réalité plus laide encore et plus insupportable. On conspirait ainsi par tous les moyens à provoquer une rupture violente entre deux classes qui ne peuvent vivre sans un concours mutuel. Que faisait cependant