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Quand on oppose l’esprit chrétien à l’esprit philosophique et révolutionnaire, on oppose le spiritualisme à lui-même, et on neutralise l’une par l’autre les deux forces qui le constituent. Oui, certes, la philosophie, si elle veut s’attaquer aux formes du christianisme et non à son fond essentiel, peut le combattre avec avantage. Le christianisme à son tour, en signalant les déréglemens de l’esprit philosophique, peut le discréditer et lui nuire ; mais il y a quelque chose de mieux que d’armer l’une contre l’autre deux puissances essentiellement bienfaisantes, c’est de les unir pour le salut de la société.

Il faut le dire aujourd’hui plus haut que jamais : quiconque déserte la cause de la philosophie et de la révolution fait les affaires du socialisme. Pour rendre cet ennemi impuissant, il faut lui ôter le prestige des grandes idées et des nobles sentimens qu’il emprunte à la tradition philosophique et révolutionnaire. Réduit à lui-même, à la brutalité sauvage de ses négations, à la fragilité de ses folles utopies, au mensonge éprouvé de ses promesses, il se dissipera par degrés comme les vains fantômes que chasse la clarté du jour ; mais si l’on s’obstine à ne voir dans l’ardente aspiration des classes populaires vers la richesse, la lumière, la science, le bonheur, que les basses convoitises de la chair ; si, pour les combattre, on compte exclusivement sur le mysticisme d’un autre temps, on donne alors au socialisme une force déplorable, la seule, il est vrai, qu’il puisse avoir, celle d’agiter sans relâche et de bouleverser périodiquement l’état. La philosophie, la révolution, le christianisme, doivent se réconcilier aujourd’hui dans une œuvre commune : l’affranchissement progressif de tous les membres de la famille humaine par l’extension des lumières, par le soulagement de toutes les souffrances, par la fusion fraternelle des classes, en un mot par l’esprit d’association et de charité.

Émile Saisset.