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attrayant pour qu’on ne s’estime pas heureux de pouvoir les oublier ne fût-ce que pendant quelques heures.

Si nous nous placions au point de vue d’une critique minutieuse nous pourrions relever les défauts de composition et les nombreuses taches de style qui déparent les récits de M. Coulter ; mais c’est moins la forme que le fond qui doit nous préoccuper. Nous sommes en présence d’une suite de tableaux dont le mouvement et la variété font le principal mérite. La naïve sincérité du peintre demande grace pour son inexpérience. Prenons donc le livre de M. Coulter pour ce qu’il est, pour une causerie des plus familières, mais aussi, malgré un certain fonds de méthodisme, des plus gaies et souvent des plus piquantes. Laissons-nous aller au charme de ces impressions dont le désordre pittoresque n’est pas sans originalité. Je ne crois pas qu’arrivé au terme de cette course aventureuse, on ait le droit d’exprimer une plainte ou un regret.

Il s’agit d’abord de bien définir le caractère de l’auteur. M. Coulter est un médecin attaché à l’équipage d’un navire baleinier. Qu’on ne s’attende pas toutefois à trouver dans ses confidences rien qui fasse deviner cette profession. La santé des marins avec lesquels il s’est embarqué ne lui inspire pas la moindre inquiétude. Il a raison : des baleiniers tour à tour torréfiés par les feux de l’équateur ou gelés par les glaces du pôle ne ressemblent en rien à des femmes vaporeuses, et le docteur ne figure parmi eux que pour obéir aux prescriptions du code maritime. M. Coulter n’a qu’un souci, c’est de passer le temps à bord le mieux possible en se mêlant à la manœuvre, et de ne jamais manquer l’occasion d’un landing-party, quand l’équipage descend à terre. Au reste, les aventures du conteur suffisent pour donner une parfaite idée de son caractère.


I – LE GOLFE DE GUAYAQUIL.

Nous sommes sur la partie de l’Océan Pacifique comprise entre les îles George et le Chili ; au début de ce voyage, fait il y a trois ans environ, c’est là que nous transporte le docteur, ennemi des longues préparations. C’est là aussi (depuis Valparaiso jusqu’au pôle sud) que se sont réfugiées les baleines pourchassées du pôle nord, et ce dernier asile ne protége déjà plus contre le harpon les restes dispersés de leur race gigantesque. Deux baleiniers sont en vue l’un de l’autre ; celui que monte le narrateur est le Stratford. Le premier est anglais, le second américain. À bord des deux navires rivaux, tout est prêt, les embarcations disposées pour être mises à la mer sitôt qu’on aura signalé la baleine ; le silence est solennel, et l’on n’entend que le clapotis des flots sous les préceintes. Pour animer ses hommes, le capitaine anglais promet au