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plus sud du golfe de Guayaquil, le capitaine du Stratford se propose pour les besoins du navire, de jeter l’ancre près de la ville de Tacames. La construction de cette ville est singulière. Les quinze ou vingt maisons qui composent Tacames sont entourées d’une ceinture impénétrable de forêts et de jungles[1]. Ces maisons, élevées d’une douzaine de pieds au-dessus du sol, reposent sur de forts poteaux plantés en terre. Les cloisons sont en bambous juxtaposés, et une échelle, qu’on retire soigneusement la nuit, sert d’escalier à ces habitations aériennes qui auraient à craindre, sans cette précaution, les visites nocturnes des tigres et des panthères, ou les indiscrétions d’une race de singes de haute taille. Les habitans ainsi abrités peuvent s’endormir au bruit des flots de la mer et des hurlemens des bêtes fauves, lugubre et terrible harmonie qui berce leur sommeil.

À tout hasard, le docteur s’est pourvu de son rifle, qu’il a mis en parfait état dans l’espoir d’un jour de congé à passer à terre. La fortune le sert au-delà de ses espérances. La dyssenterie fait des ravages à Tacames. À la requête des habitans, M. Coulter consent à venir fixer momentanément sa résidence parmi eux. Au bout de quelques jours, tout rentre dans l’ordre, grace aux potions du docteur, qui recueille les fruits de ses bienfaits tant en friandises de toute sorte qu’en une quantité suffisante de quadruples. Puis, le matin du sixième jour, M. Coulter, qui n’a pas fourbi et nettoyé sa carabine en vue de l’épidémie de Tacames, prend un Indien à gages et se dispose à partir pour la chasse. Jack, c’est le nom de l’Indien parmi les blancs, est pour le docteur plus qu’un guide mercenaire, plus même qu’un compagnon de périls : c’est un ami fidèle.

Le docteur place d’abord en lieu de sûreté les quadruples qu’il a gagnés ; puis, il met dans sa carnassière quelques provisions de bouche, jette son rifle sur son épaule et se met en route avec l’Indien. Les deux compagnons suivent un large chemin de traverse, bordé de côté et d’autre d’épais fourrés, rendus presque impénétrables par les tiges grimpantes de la vigne. Sur la cime des arbres qui s’inclinent, des singes gigantesques montrent leurs faces grimaçantes ; parfois ils étendent leurs longs bras pour saisir le canon du fusil du docteur ou pour arracher son bonnet de sa tête. Le docteur s’alarme bien un peu de ces tentatives ; mais Jack, son guide, n’en fait que rire, et assure que ce ne sont que des espiègleries de babouins joyeux de voir un étranger. L’épaisse végétation disparaît peu à peu ; une immense forêt succède au sentier ; là plus de lianes s’enroulant autour des buissons, mais une voûte impénétrable qui cache le ciel et ne laisse tomber sur la mousse que d’imperceptibles rayons de soleil aigues

  1. Mot anglais importé des Indes orientales, et qui signifie un fourré de broussailles et de bambous.