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qu’elle mettait à part pour les distribuer par les couvens de la ville, et les portraits de Charles-Quint et de Philippe IV, qu’elle plaçait ave respect au coin des rues et sous de riches dais. La seconde, que par une vertu assez rare à des gens de cette sorte, de cette multitude d’hommes qui concouraient à ces ravages, il n’y en eut pas un qui prît pour lui la moindre chose, à la réserve d’un jeune garçon qui, pour avoir pris une tasse d’argent de peu de valeur, fut châtié par Masaniello, les soulevés criant tout d’une voix qu’il fallait que toutes ces richesses qui procédaient du sang des pauvres fussent livrées aux flammes. » J’ai voulu citer le texte lui-même pour ne rien ôter de sa valeur historique à ce curieux morceau : on voit que le peuple était déjà alors comme aujourd’hui.

Mais, hélas ! les plus belles résolutions sont bientôt oubliées, surtout quand rien n’oblige à les tenir. Ces premiers incendies mirent le peuple en goût ; peu à peu il se laissa aller à des pillages moins désintéressés et la ville de Naples fut livrée pendant plusieurs mois à tous les excès. On connaît la courte domination et la fin tragique du premier chef du peuple, Masaniello, ou pour parler plus exactement, Thomas Aniello, car les Napolitains ont, comme les Anglais, l’habitude d’abréger tous les noms propres ; ce qu’on sait moins, c’est qu’il perdit en partie la raison pour avoir trop bu des vins délicieux qu’on trouva dans les caves des grands seigneurs espagnols. N’avons-nous pas entendu parler, dans ces derniers temps, d’autres caves vidées de la même façon ? Ce revendeur de poissons « qui foula un trône sous ses pieds nus » était à peine âgé de vingt-sept ans ; M. le duc de Rivas donne son extrait de baptême. De notre temps, ces rois de hasard qui sortent du tumulte d’une émeute aboutissent à Vincennes ; à cette époque, le peuple, après les avoir adorés quelques jours, les tuait ; la conclusion est un peu adoucie, mais c’est toujours la même. Masaniello ne fut pas le seul chef que se donna cette hydre aux mille têtes qui conçoit à la fois mille opinions et qui les exprime par un égal nombre de langues. » du vivant même de ce pauvre fou, un vieillard de quatre-vingts ans, nommé Genuino, conspirateur émérite, qui avait passé vingt ans aux galères d’Oran pour avoir pris part à une tentative antérieure de révolution, avait pris le titre de consulteur du peuple, et Dieu sait quels conseils de vengeance et de haine il donnait ; un autre échappé du bagne, nommé Ciccio d’Arpaja, se constitua l’élu du peuple ; un nommé Perrone se mit à la tête des bandits qui étaient accourus de toutes parts à Naples, à la première nouvelle de la sédition, et ainsi de suite.

La plupart de ces chefs s’évanouirent aussi vite qu’ils étaient venus ; à tout instant, on apprenait que les Lazares, après avoir traîne par les pieds dans la ville un cadavre défiguré, avaient fini par l’abandonner aux chiens : c’était une idole de la veille qui finissait. Il y avait pourtant