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à Naples une bourgeoisie et une noblesse qui souffraient impatiemment ces fureurs, mais l’une et l’autre firent de vaines tentatives pour prendre la direction du mouvement. Don Pepe Caraffa, frère du duc de Matalone, ayant essayé de dominer cette foule déchaînée, fut mis à mort ; sa tête fut exposée sur un pieu dans la place du marché avec cette inscription : Rebelle à la patrie et traître au très fidèle peuple. Après lui, le prince de Massa fut élu, par ce même peuple, capitaine-général mais son tour vint bientôt d’être égorgé, et son cœur, arraché de sa poitrine, fut porté dans un bassin à sa femme, qui s’était retirée dans un couvent. Les nobles, épouvantés par ces horribles exemples, sortirent de la ville et se réunirent en armes dans la campagne. Quant aux bourgeois, on les appelait le parti des capes noires, comme qui dirait aujourd’hui le parti des habits noirs. « Ils étaient en fort grand nombre, dit M. de Modène, mais les soupçons qu’en avait le peuple, qui sans cesse les surveillait, les faisait vivre dans une si grande crainte, qu’ils n’osaient même pas s’entre-visiter les uns les autres, pour ne pas s’exposer aux funestes suites que causaient les moindres ombrages. Les plus prudens, tout en abhorrant le passé, tâchaient de s’accommoder du présent, attendant que l’avenir mît au jour ce que la Providence avait délibéré touchant le succès de ces troubles, afin de demeurer debout dans quelque assiette où l’état se pût trouver. »

Quelques bandits armés de crocs faisaient trembler la ville entière, et certes ce n’était pas qu’elle fût petite ou mal peuplée. Naples était peut-être à cette époque, où Londres et Paris n’avaient pas pris encore le développement qu’elles ont eu depuis, la ville la plus grande et la plus populeuse de l’Europe. Les historiens contemporains lui donnent une population de six cent mille ames. Quand Masaniello convoqua ce qu’on appellerait aujourd’hui la garde nationale, il se trouva cent cinquante mille hommes sous les armes. Il y avait là, si l’on avait su s’entendre, une force suffisante pour faire respecter l’ordre et constituer un gouvernement régulier, mais on manquait d’organisation. Les Espagnols, commandés par don Juan d’Autriche, fils naturel du roi Philippe IV, voulurent profiter de ces désordres pour tenter de reprendre la ville ; leur coup de main n’aboutit qu’à accroître encore l’exaspération du peuple contre eux, car ils se rendirent inutilement coupables de la plus odieuse trahison. Après avoir repoussé de nouveau les Espagnols, les Lazares se crurent invincibles. Ils avaient jusque-là respecté nominalement l’autorité royale ; ils l’abolirent, mirent un crucifix à la place du portrait du roi d’Espagne, car l’alliance sacrilège tentée de nos jours entre la religion et l’anarchie n’est pas plus nouvelle qu’autre chose, et proclamèrent la république. Un mauvais armurier nommé Gennaro Annese, fut élu généralissime par le crédit