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ce qu’on la corrige à si bonne intention, il ne s’ensuit pas qu’on ne soit point honnête. En effet, les bonnes intentions abondent chez le républicain pur ; il en est plein comme on dit que l’enfer en est pavé, et c’est encore un de ses contrastes d’avoir tant de pensées salutaires et de les conserver stériles. Le républicain pur ne détesterait pas l’ordre, mais il a un goût invincible pour de certains élémens d’anarchie avec lesquels l’ordre n’a jamais cohabité ; le républicain pur s’est pâmé d’aise sur le mot de M. Caussidière : « faire de l’ordre avec du désordre ; » Cela lui semble magnifique, et l’on ne comprend pas, en vérité, qu’il ait tant de plaisir aux tours de force, quand il les manque toujours ; Le républicain pur ne dissimule pas que la justice est une belle chose, mais il a l’ame très sensible et la mémoire chargée de beaucoup d’exploits, qui ont tant d’analogie avec ce qu’il est obligé d’appeler aujourd’hui les crimes, que ces crimes-là le trouvent indulgent par nature. Conspirateur émérite, il a toujours du faible pour les manteaux couleur de muraille et ne se résigne pas vite à se montrer sévère aux conspirateurs novices, eût-il même failli essuyer les coups ; comme il est neuf encore à son rôle, il oublie facilement qu’il est devenu le représentant plus ou moins définitif de la société française, et, pour son compte, il pardonne. On n’a pas l’ame meilleure.

À ce compte-là donc, nos ministres actuels ne sont pas des républicains purs, et franchement nous les en félicitons. Ils ne se soucient pas d’être tendres pour les comploteurs qui s’enorgueillissent de troubler savamment la paix douloureuse d’une patrie dont les blessures ne finissent pas de saigner. Ils n’éprouvent aucun charme à jouer avec ces foudres grossiers qu’on fabrique dans les officines d’émeute, et ils n’entendent pas permettre de les forger à loisir, sous prétexte de liberté, pour avoir ensuite plus de gloire à les éteindre ; ils aiment mieux prendre moins de peine et courir moins de chances : que voulez-vous ? ils ne se sentent pas appelés de naissance au métier de paratonnerre. Le métier d’ailleurs n’est pas de durée ; M. de Lamartine en est bien revenu, et le voilà presque un homme de gouvernement ; il a tout l’air d’être assez converti pour qu’il ne soit pas absolument impossible de lui trouver son poste dans un cabinet de rechange : la librairie va si mal ! Retournons à nos ministres, qui, en attendant, n’ont pas encore cédé la place. Une dernière preuve montre bien qu’ils ne sont pas de ces purs républicains dont nous parlions : ils n’ont pas peur du suffrage universel, et, quoiqu’ils ne l’aient pas inventé, ils le provoquent et ne demandent qu’à lui confier l’avenir de la politique dont ils sont les dévoués serviteurs. Ils ne doutent pas que cette politique ne réponde au vrai sentiment du pays, car le pays serait plutôt tenté de la dépasser que de rester en-deçà. Non, ils ne sont pas des républicains purs ; ils voudraient seulement une république dont tous les rouages ne fussent pas disloqués rien qu’à tourner, des libertés qui profitassent à tout le monde au lieu de privilèges qui ne profitent qu’aux partis, un pouvoir qui se tint debout et qui marchât sans rien renverser, au lieu d’un pouvoir qui n’a de choix qu’entre les coups d’état et le suicide à perpétuité ; ils voudraient, soit dit sans offenser nos lois, faire la meilleure de républiques avec la pire des constitution. C’est un beau rêve, dont nous leur savons du gré ; nous nous efforçons sincèrement de le rêver en même temps qu’eux, et, quoiqu’il doive en sortir de définitif, nous acceptons de bon cœur, nous appuyons de toute notre énergie les heureux progrès que chaque jour