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pour son compte. Avions-nous tort de prôner plus haut l’exploitation de la mer ? Quelle propriété ou quelle entreprise de terre garantit en moyenne de semblables résultats ?

Les harengs figurent pour 250 francs dans chaque part, et par conséquent pour 6,312 francs dans le produit total[1]. Ces chiffres seuls disent assez quelle est l’importance de cette pêche, et pourtant nous n’avons encore parlé que de ses produits immédiats. Or, une fois transporté à terre, le hareng, on le sait, devient l’objet d’une véritable industrie. Les saleurs, les paqueurs, les saurisseurs, s’emparent de ce poisson ; les femmes, les filles des pêcheurs trouvent dans leurs ateliers une occupation qui dure plusieurs mois de l’année. Paqués, c’est-à-dire salés à la hollandaise ; sauris, c’est-à-dire fumés après avoir subi quelque temps l’action du sel, les harengs se conservent, bravent l’action putréfiante des contrées les plus chaudes, et sont pour Boulogne l’objet d’un commerce considérable. Depuis dix ans, cette ville a préparé en moyenne 24,262 barils, représentant en poids 3,154,060 kilogrammes de hareng[2]. Là cependant ne se bornent pas les avantages qu’il est possible de retirer de la pêche de ces poissons. À Boulogne comme partout, pour paquer ou saurir le hareng, on lui arrache les ouïes et les entrailles qui sont jetées au fumier comme ne pouvant servir à rien ; eh bien ! il serait très facile d’utiliser ces guignes, ainsi que les poissons jetés au rebut, en adoptant en France une industrie qu’on connaît à peine de nom, et qui a pourtant aidé puissamment à la prospérité de certaines nations maritimes, de la Suède en particulier. Nous voulons parler de la fabrication de l’huile de hareng, huile qui, quoique inférieure, sous quelques rapports, à l’huile de baleine, peut néanmoins la remplacer dans la plupart des cas.

Cette fabrication ne serait pas absolument nouvelle en France. Colbert, dont l’intelligence a embrassé l’industrie dans presque tous ses détails, avait songé à en favoriser l’établissement sur les côtes de Normandie et de Bretagne. Malheureusement il adopta, dans cette circonstance le régime des compagnies privilégiées, et le monopole eut encore une fois ses résultats habituels. En 1672, une société se forma, s’installa sous les plus brillans auspices dans les villes de Dieppe, de Fécamp et de Saint-Valéry, et disparut bientôt, effrayant par son insuccès ceux qui auraient pu être tentés de l’imiter. Chez les Anglais, les Hollandais, les Américains, les Suédois, cette industrie, constamment libre, a,

  1. Remarquons en passant que ce rapport donne, pour le produit total annuel de la pêche dans Boulogne, la somme de 3,319,838 francs environ, sur laquelle 283,142 francs arrivent aux armateurs, tandis qu’il reste entre les mains des maîtres ou des pêcheurs 3,036,696 francs.
  2. Le baril dont il s’agit ici est une mesure légale et renferme 130 kilogrammes de poisson net.