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la loi du 15 juillet 1845 affecte une somme de 8 millions, et l’on aurait pas adopté d’autres si le but avait été de conjurer les jalousies dont la patrie de Jean Bart eut tant à souffrir au XVIIIe siècle[1].

Le barrage qu’on veut maçonner sur la place même où les Anglais firent commencer, en 1714, le comblement du havre, affecterait tous les mouvemens entre le port et la rade d’une lenteur inconciliable avec la rapidité requise pour les moindres opérations militaires, Si, comme au mois d’août 1695, 112 voiles anglaises venaient attaquer la ville, un autre Château-Regnaud ne pourrait plus se porter à leur rencontre avec une flottille de canonnières, leur barrer la rade et les repousser à un contre dix[2] ; embarrassé dans l’étranglement de l’écluse, sa manœuvre coupée en deux par la difficulté du passage, il n’aurait probablement qu’à rester dans, le bassin pour éviter une défaite. Le projet fait descendre l’avant-port en dehors des fortifications, dans un chenal en ligne droite, en sorte qu’un ennemi qui pénétrerait entre les jetées canonnerait les navires accumulés au-dessous des écluses sans perdre un seul de ses coups. La navigation à vapeur, avec la rapidité de ses attaques, permet moins que jamais de jouer de tels jeux, et, si les sûretés dont on se contentait autrefois ne sont même plus suffisantes aujourd’hui, à plus forte raison doit-on repousser des combinaisons qui les anéantissent. Ces combinaisons prévaudraient au détriment de la marine marchande aussi bien qu’à celui de la marine militaire : la première est fort intéressée, en temps de guerre, à la sûreté des abris qui lui sont offerts ; il ne lui est, en aucun cas, indifférent d’opérer ses mouvemens dans un avant-port réduit d’une largeur de 200 mètres à celle de 50, et, si la longueur du chenal ne permet pas toujours de le franchir en une marée, l’établissement du moindre remorqueur à vapeur ferait disparaître cet inconvénient.

Des objections d’une autre nature s’élèvent contre le projet de dérivation des eaux qui se précipitent par l’écluse de Vauban. Si, au lieu de leur faire traverser la ville et les fortifications, on les jetait dans les fossés, à partir de la porte de Lille, on ajouterait aux moyens de défense

  1. Le département de la marine serait d’autant plus à l’aise pour s’expliquer sur le sacrifice fait, dans la loi du 15 juillet 1845, de la valeur militaire du port de Dunkerque, qu’il n’a pas même été consulté sur cette loi. Les pièces annexées au projet et déposées aux archives de la chambre des députés ne comprennent pas la plus légère trace d’un avis de l’amirauté ou d’aucune autorité maritime.
  2. Cette action, dans laquelle Jean Bart commandait les batteries de terre, est une des plus remarquables dont les eaux de Dunkerque aient été le théâtre, et mérite d’être particulièrement étudiée par les officiers qui s’occupent de la défense des côtes. Le parti que M. de Château-Regnaud tira dans cette circonstance des canonnières offre des argumens nombreux en faveur du système d’armement des bateaux à vapeur qu’a recommandé notre amiral de Joinville dans un écrit dont aucun marin ni aucun lecteur de la Revue n’a perdu le souvenir.