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— Ah ! dit le général en inclinant fort peu la tête. À quel régiment appartient le capitaine George ?

— Au vingt-septième.

George aurait donné tout au monde pour avoir à prononcer une réponse plus satisfaisante et moins vulgaire.

— Un régiment qui revient des Indes. Il n’a pas fait grand’chose dans la dernière campagne. Vos quartiers sont ici, capitaine George ?

Tout cela était dit avec une hauteur et une froideur glaciales.

— Général, reprit Rébecca, vous êtes insupportable. Ce n’est pas le capitaine George, c’est le capitaine Osborne, le mari d’Amélie, ma compagne, une charmante enfant !

— Le capitaine Osborne ! Ah !… êtes-vous parent des Osborne de Fevercombe ?

— Nous portons les mêmes armes, répondit le capitaine en rougissant et cela était vrai, car le père Osborne les avait achetées et gardées. Le général ne répliqua rien, mais promena son lorgnon du haut en bas de la salle, tout en dirigeant par-dessous le lorgnon, ce dont Rébecca s’apercevait très bien, des regards terribles sur Rébecca et sur George. Elle redoubla de cordialité envers le nouveau venu.

— Cette chère Amélie ! comment va-t-elle ? Je n’ai pas besoin de le demander ; elle est si jolie ! Et cette dame à côté d’elle, avec une bonne figure toute riante, est-ce une de vos passions, George ? Vous autres, vous vous gênez si peu ! Et le frère nabab, qui mange une glace, comme il la savoure avec plaisir ! Général, pourquoi n’avez-vous pas fait venir des glaces ?

— Voulez-vous que j’aille vous en chercher ? reprit le général, qui crevait de rage.

— Non, je vais voir Amélie dans sa loge. Donnez-moi le bras, George ?

Ils s’engagèrent dans le couloir, et le regard aiguisé de Rébecca disait clairement à son cavalier : « Voyez-vous, George, comment je mène mon monde ? Pauvre général ! la bonne dupe ! »

Osborne n’entendait que la voix de sa vanité personnelle, qui lui criait : « Vous êtes irrésistible, et cette femme-ci, comme toutes les autres, cède aux enchantemens de votre personne. »

Il y avait six semaines que le mariage de George et d’Amélie avait eu lieu, et déjà l’étourdi George se permettait une demi infidélité ! « On m’aime, serai-je plus modeste et plus puritain qu’un autre ? se demandait-il tout bas ; voici une jolie femme qui se jette à ma tête, et je n’en profiterais point ! quelle folie ! Rébecca m’adore ! » Il n’en était cependant rien, et le beau George Osborne, fils du riche Osborne de la Cité, dupe de son amour-propre et des fascinations de Rébecca Crawley, n’était pas de force contre elle. Dans ces manéges d’opéra, de salon, de