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de porcelaines fines, de coussins en velours, de tapisseries en soie plate et de cristaux étincelans. Rapportant tout à elle-même, elle adorait les arts, la grace, l’esprit et aussi la vertu, pourvu que cette dernière rachetât sa sévérité par la candeur et sa contrainte par la naïveté. Tour à tour gouvernantes et frères, sœurs et neveux venaient capter l’héritage de la vieille fille et essayer de lui plaire ; ils avaient affaire à forte partie ; la spirituelle femme du monde que Fox avait aimée ne se laissait pas duper aisément. Voluptueuse et ennuyée, elle se faisait courtiser et jouait avec les cupidités empressées et haletantes comme le chat avec la souris. C’était sa comédie. Le vieux cynique son frère la révoltait, le recteur lui semblait stupide, le diplomate était nauséabond ; le dragon seul, un peu brutal, était assez mauvais sujet et assez délibéré pour ne pas lui déplaire. Quand Rébecca lui fut amenée par le membre des communes, ce fut une vraie bonne fortune pour l’épicurienne. Qui aurait pu rivaliser avec Rébecca dans l’art suprême d’amuser les gens ? Précieuse trouvaille pour une personne comme miss Crawley, qui se mourait d’ennui ; égoïste et bienveillante, intelligente et sensuelle, généreuse et vaine, vraie païenne ! J’aurais voulu m’asseoir à sa table, écouter ses récits, jouter d’épigrammes avec elle, mais non être son fils, son ami, son amant ou son frère. Il ne faut rien attendre ou espérer de ces cœurs blasés ; comme les vieux bois tombés en pourriture, on en tire du phosphore et quelques lueurs agréables ; rien de solide, rien de vrai, rien de généreux.

Autour du lit de l’Aspasie vieillissante affluaient flatteurs et flatteuses ; on y voyait surtout la sentimentale Briggs, ancienne sous-maîtresse qui avait rédigé et imprimé jadis en hexamètres anglais les Rosées de la mélancolie ; elle subissait les duretés et se pliait aux caprices de miss Crawley avec ce mélange de bassesse et de résignation dévouée qui ne fait qu’encourager et aviver encore la tyrannie des despotes domestiques.

Miss Mathilde Crawley se désennuyait en vivant bien, trop bien pour sa santé. Quand sonnait l’heure terrible de l’indigestion, le docteur arrivait, et le combat s’engageait entre ce grave personnage et le homard ou le brochet qui menaçaient la vie joyeuse de notre héroïne. De la plus vive animation, la sensuelle passait tout à coup à un abattement inoui, à l’abjection d’ame la plus complète. Que de terreurs ! que d’agonies ! doubles et hideuses angoisses de la conscience et de l’estomac ! « Représentez vous, sans trembler si vous pouvez, dit M. Thackeray, l’égoïsme édenté et la volupté fanée, sans Dieu, sans conscience, sans rouge, sans sommeil, hélas ! et sans perruque, chose affreuse ! » Oui, certes, M. Thackeray a raison, cela est triste, hideux et insensé. Quand nous deviendrons tout-à-fait vieux, prions Dieu, jouissons du peu de bien que nous aurons pu faire et aimons-nous le plus possible.