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On sait quel est le charme des années studieuses pour la jeunesse allemande La libre vie de l’étudiant le conduit de ville en ville ; il va demander la science à toutes les chaires illustres et prendre sa part à toutes les fêtes de la pensée. Après ces belles années de Berlin, Louis Boerne se rendit à l’université de Halle. Toute parée de ses meilleures gloires, pleine de mouvement et d’éclat, cette noble école semblait protester déjà par ses triomphes contre le décret de Napoléon qui devait si tôt la condamner au silence. Plus de douze cents étudians s’y étaient fait inscrire, et les maîtres répondaient bien à cette généreuse ardeur. Boerne y retrouva Schleiermacher, dont la finesse socratique l’attirait singulièrement : il y vit Steffens, Wolf, Reil ; mais laissons-le parler lui-même, car c’est ici une des rares occasions où ses écrits fournissent des documens à l’histoire intime de sa pensée :


« Je me rappelle avec ravissement les années académiques que j’ai passées à Halle. Sans doute la jeunesse est belle pour tout le monde, dans quelque lieu et de quelque manière qu’elle se passe ; mais elle est doublement belle pour l’étudiant. Travail et gaieté s’offrent à lui sur le même chemin ; il est dispensé de cette dure obligation de choisir entre le plaisir et la peine, tandis que dans toute autre condition le jeune homme est placé beaucoup trop tôt à l’entrée des deux chemins d’Hercule. La vie scientifique de Halle était dans toute sa fleur, pleine de mouvement et d’attrait. Goettingue était alors ce qu’elle a toujours été, ce qu’elle est encore à l’heure qu’il est : le séjour d’une science vénérable et traditionnelle, une sorte d’aristocratie respectée, riche en domaines bien assis, en biens-fonds solides et inaliénables. À Halle, c’était le tiers-état, c’était l’activité du commerce, c’était le continuel échange de l’esprit ; tous les résultats de la science y circulaient gaiement, rapidement, de bouche en bouche et de main en main. L’intelligente sollicitude du gouvernement prussien y avait formé une réunion de maîtres qui, sans renoncer aux trésors du passé, accueillaient avidement toutes les richesses nouvelles. Wolf, dont la réputation ne surpasse pas le mérite, nature pleine de vie et d’ardeur, nous fit faire une connaissance intime avec Anacréon et les présomptueux amans de Pénélope. Schleiermacher enseignait la théologie, comme l’eût enseignée Socrate, s’il avait été chrétien Dans son cours de morale, il analysait la vie intérieure, puis la vie scientifique et politique de l’homme. Son auditoire ne réunissait pas seulement la jeunesse académique, mais aussi des hommes d’un âge mûr et de toutes les conditions. Il était en même temps prédicateur de l’université, et ses auditeurs devenaient plus recueillis à mesure qu’ils devenaient plus réfléchis. Armé, en effet, du compas de la science, Schleiermacher naviguait sur la mer de la foi dans une direction calculée, sûre et exempte de doute. Reil était remarquable comme homme, comme professeur de médecine et comme praticien. Son visage était noble et imposant ; il avait les yeux du grand Frédéric. En le voyant enseigner au milieu de ses élèves, qui avaient pour lui autant d’affection que d’admiration, on pouvait aisément se croire à l’académie d’Athènes. Il savait inspirer à ses malades et à leurs parens une confiance inébranlable, et ceux qu’il ne guérissait pas conservaient encore l’espérance en perdant la vie. Ses leçons sur la