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original, va s’épanouir tout à coup avec ses plus rians trésors, comme sur un sol bien préparé les végétations printanières. L’ironie se cachera sous un enjouement capricieux, le bon sens sera plein d’imagination et de grace. De là cette forme toute jeune et ces contrastes d’une vivacité joyeuse. De là ces mélodies, ces brillans allegro qui éveillent si adroitement l’attention ; de là enfin ces aventureuses fantaisies où brille toujours la droite raison, comme une lueur trop vive dans une lampe d’albâtre. Cette douce lumière qui n’effraie pas les yeux du songeur, on s’y accoutume peu à peu ; puis tout à coup l’habile écrivain la démasque, et la clarté vous inonde. Louis Boerne excelle dans cette polémique, il est maître en ce jeu difficile que M. Henri Heine a renouvelé après lui avec une prestesse étincelante. Jamais on n’a mieux séduit le lecteur inoffensif, afin de le jeter tout à coup au beau milieu d’une prédication libérale ; jamais on n’a combiné un guet-apens avec une perfidie plus ingénieuse. Et cette prédication elle-même, comme elle se dissimule encore, comme elle se dérobe avec art, à l’endroit où elle semble près d’éclater ! comme le motif sérieux est admirablement enveloppé dans les plus gracieuses variations ! Le publiciste était contraint à ces ruses par la surveillance de la censure ; mais ce qui devait lui être un obstacle est devenu une ressource, un moyen inattendu, un incomparable aiguillon. Cette pensée libérale, en effet, cette vive et généreuse espérance, quand on la vue briller subitement, puis s’enfuir, comment oublier désormais l’apparition charmante ?

Malo me Galateea petit, lasciva puella,
Et fugit ad salices et se cupit ante videri.

Telle est, dès le premier jour, dès les premiers numéros de son journal (la Balance, Die Wage), la vraie physionomie du style de Louis Boerne. L’année même où il publiait la Balance, il comprit que sa qualité d’israélite nuirait à l’autorité de sa parole, et, réalisant une conversion secrètement accomplie déjà au fond de sa pensée, il reçut le baptême des mains d’un pasteur luthérien. C’est le 5 juin 1818 que M. Bertuch, pasteur à Roedelheim, près Francfort, introduisit le jeune écrivain juif dans la communion chrétienne. Il prit le nom de Charles, qui lui fut donné à cette occasion, et renonça même au nom de sa famille ; Loeb Baruch s’appellera désormais Louis-Charles Boerne. Il serait difficile de dire d’où lui venait ce dernier nom ; lui-même, dans ses Lettres de Paris, il a dressé à ce sujet une généalogie fantasque dont les explications, on le pense bien, ne servent qu’à dépister les curieux. La conjecture la plus probable, c’est qu’il prenait plaisir à se renouveler tout entier ; un pseudonyme devait sourire à ce spirituel tacticien, toujours occupé à dérober sa marche et à dissimuler ses coups. Sans doute, le langage du publiciste s’enhardira plus tard, sa voix sera plus