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plus tard des philosophes, et il en aura bien le droit. Le jargon des systèmes tudesques lui a toujours été particulièrement odieux. Il écrit pour être lu, il parle pour agir, et c’est cette clarté, cette décision du langage, qui firent immédiatement toute sa force. Ce que Rachel et Frédéric de Gentz avaient si délicatement apprécié, des milliers de lecteurs le sentirent d’instinct, et Louis Boerne s’empara des générations nouvelles.

Une fois maître de cette forme habile, bien sûr qu’il saurait exprimer sa pensée la plus vive à l’abri de sa fantaisie capricieuse, Louis Boerne ne recula devant aucun sujet. Comment aurait-il craint le reproche de frivolité ? Toute sa polémique, au contraire, avait pour but de réveiller la vieille Allemagne sous son bonnet de docteur. Il n’y avait que lui qui pût parler de politique à propos de Mlle Sonntag et qui fût capable d’inquiéter sérieusement la diète de Francfort en décrivant les danses aériennes de Taglioni. C’est au théâtre, en effet, qu’il plaça d’abord ses batteries. Il n’y avait pas de tribune en Allemagne, la liberté de la presse n’existait pas : Louis Boerne pensa que les plus élégans travaux de l’esprit étaient dignes de suppléer aux institutions de l’avenir ; il s’adressa aux arts libéraux, et leur demanda de rendre ce nouveau service à l’affranchissement de la pensée humaine. On a quelquefois reproché à Louis Boerne d’avoir mêlé ainsi la critique littéraire et la discussion politique ; c’est lui reprocher son originalité même. On le comprendrait bien mal, en effet, si l’on croyait que ses sympathies libérales aient jamais décidé de ses jugemens, et que son esthétique fût l’humble servante de sa foi. Novateur en politique et en poésie, il mène de front sa double tâche. Loin de méconnaître l’indépendance de l’art, il voudrait qu’une littérature puissante et libre attestât la vie, la force, l’irrésistible développement de l’esprit national. C’est ainsi que la politique et l’art l’intéressent à la fois et s’unissent pour lui sans se confondre. D’ailleurs, cette façon d’apprécier les choses de l’esprit lui semble un témoignage de la vraie et saine liberté démocratique. D’où vient, se demande-t-il, que les arts n’occupent pas la première place dans la vie de l’homme et dans les institutions sociales ? Pourquoi n’en faire qu’un accessoire, un délassement, et un délassement, hélas ! bien des fois condamné ? Pourquoi cette triste opinion calviniste, janséniste, méthodiste, a-t-elle assombri le monde ? Et il s’écrie : « Le plus heureux de tous les peuples, celui qui ressemble le plus à la Grèce, c’est le peuple français. Voyez-les, dans leurs journaux, apprécier à la même page le jeu de Talma sur la scène et l’attitude les ministres à la tribune, tout cela avec la même importance, avec la même sérénité d’esprit. Que nous sommes loin de cette civilisation aimable ! Chez nous, le temple des arts est bien clos et parfaitement chauffé ; mais ne vous hasardez pas à sortir ; l’atmosphère de notre société