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verve aventureuse, sa finesse humoristique, ont maintes objections à soulever N’a-t-il pas dénoncé Guillaume Tell comme le héros des philistins, comme un de ces vulgaires teutomanes de 1813, chez qui la juste haine de l’étranger épuise toutes les forces morales et supplée à toutes les idées ? Il y a un écrivain qui, bien mieux que Schiller, devait attirer les sympathies de Louis Boerne : c’est le grand humoriste allemand, c’est ce rêveur inspire qui a répandu à profusion dans ses romans fantastiques toutes les tendresses du cœur le plus aimant, tous les trésors de l’imagination la plus riche. Si Louis Boerne, en jugeant les œuvres du théâtre, est le continuateur de Lessing, dans ses articles de fantaisie, dans tous ses travaux de polémique ou de dilettantisme littéraire, il est le plus brillant disciple de Jean-Paul. Jean-Paul n’eût-il pas signé volontiers cette belle profession de foi ?


« Tout ce que j’ai dit, je le croyais ; ce que j’ai écrit, mon cœur me le dictait, et je n’aurais pu lui résister. En aimant mes ouvrages, c’est moi que l’on aime. On rirait vraiment si l’on savait combien je suis ému quand je mets la plume à la main. Mauvais signe, je le sais ; cela m’avertit que je ne suis pas un écrivain. Le véritable écrivain doit faire comme l’artiste ; ses pensées, ses sentimens, lorsqu’il leur a donné une forme, il ne faut pas qu’il y laisse son ame, il doit en faire une chose étrangère à lui-même. Ah ! cette maudite nécessité de se séparer de son ame, jamais je n’ai pu y réussir ! Je ne sais, après tout, si je dois m’en affliger sérieusement. Il se peut bien que l’art soit quelque chose de beau. L’art est aimé des princes, des grands seigneurs, des riches, des heureux du monde, des intelligences calmes et paisibles ; mais ils sont si impitoyables dans leur justice, ces fins connaisseurs, que souvent j’en frissonne. Ils se soucient bien de ce que l’art représente ! c’est l’art tout seul qui les touche. Une grenouille, un concombre, un gigot de mouton, un Wilhelm Meister, un Christ, tout cela a la même valeur : oui, en vérité, ils daignent même excuser la sainteté de la Vierge, pourvu que la peinture soit bonne ! Tel je ne suis pas, tel je ne fus jamais. Dans la nature, je n’ai jamais cherché que Dieu ; dans l’art, je n’ai jamais cherché que la nature divine, et là où je n’ai pas trouvé Dieu, je n’ai vu que monstruosités ; là où je n’ai pas trouvé la nature divine, je n’ai vu, au lieu d’art, qu’un affreux bousillage. C’est ainsi que j’ai jugé les événemens, les hommes, les livres, et il peut bien se faire que j’aie blâmé de bonnes et belles œuvres d’art, uniquement parce que l’ouvrier me semblait méchant et laid. »


Chez Jean-Paul, quelle que soit la distinction originale de ses œuvres, c’est l’ouvrier surtout qui est beau. Louis Boerne avait un culte pour Jean-paul. Il ne se lassait pas d’admirer cette candeur inépuisable et cette généreuse prodigalité d’inspiration. Les génies sobres et contenus, les sévères artistes de la tradition grecque et latine apprécieront difficilement l’auteur de Siebenkaes et de la Vallée de Campan ; Boerne l’aimait pour cette négligence même, pour cette profusion irrégulière où se révèle avec tant de sincérité le poète le plus confiant qui fut jamais. Lorsque Jean-Paul se donne tout entier, lorsqu’il ouvre son