Page:Revue des Deux Mondes - 1849 - tome 1.djvu/603

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Lessing dans Nathan le Sage ; Louis Boerne la traduit ainsi à sa manière : « Quelle est la vraie philosophie ? quelle est la croyance orthodoxe ? Je vais te le dire, lecteur. La vraie philosophie est celle qui, pour rester vraie n’a pas besoin d’accuser de mensonge tout ce qui n’est pas elle. La vraie croyance est celle qui, pour rester orthodoxe, n’est pas forcée de condamner toute autre croyance comme hérétique. Tu demandes où est la vérité ? Demande plutôt où est l’erreur. » La vérité est partout, selon Boerne ; il ne faut que la dégager par l’indulgence, par la sympathie de l’éclectisme, c’est-à-dire par le respect et l’amour du genre humain.

En même temps qu’il attaquait l’intolérance du dogmatisme, il invitait les philosophes à sortir de l’enceinte des écoles pour se mêler au monde. Le pédantisme des systèmes est fatal, se disait-il ; que d’intelligences perdues pour la vraie philosophie libérale, pour les conquêtes de la civilisation ! Et il s’écriait avec sa gaieté habituelle :


« Combien j’ai ri l’autre jour ! Une académie allemande avait résolu de supprimer sa classe de philosophie ; elle disait que le lourd fardeau de la métaphysique l’empêchait de marcher. Un homme d’état, membre de cette académie, prit la philosophie sous sa protection. — Ce n’est pas de cela que j’ai ri ; je trouvais, au contraire, la décision de l’académie parfaitement louable et la conduite de l’homme d’état parfaitement naturelle ; mais voici ce qui causait ma gaieté : — Un savant allemand, qui apprit cette circonstance et qui eut grand soin de l’imprimer, trouvait le zèle de l’homme d’état si merveilleux, qu’il ne se lassait pas de l’admirer. Ce savant n’est pas un rêveur, c’est un esprit net et éveillé, et pourtant il n’a pas compris ! L’homme d’état savait bien ce qu’il faisait ; il savait bien qu’en Allemagne agrandir le domaine de la philosophie, c’est rétrécir le champ de la liberté, tandis que la liberté gagnerait tout l’espace qui serait enlevé à la philosophie. »


Bien différent de ce savant et de cet homme d’état, Louis Boerne eût écrit le panégyrique de cette académie allemande qui supprimait la classe de philosophie. Il fait du moins tous ses efforts pour entraîner loin des écoles tous ces graves docteurs et ces conseillers auliques. Ce qu’il reproche à la poésie allemande, nous l’avons remarqué, c’est l’isolement où elle s’enferme : nous voici au second point du sermon, et les philosophes en feront les frais. Voyez quel bon sens sous ces fantaisies joyeuses :


« Unissez la science, l’art et la vie. Si vous les séparez, la science est pâle, l’art est maigre et la vie est maladive. Voulez-vous éternellement faire la cuisine et ne jamais servir la table ? Ne voulez-vous pas avoir, vous aussi, votre XVIIIeSiècle, comme les savans français ? Est-ce que d’Alembert et Duclos, Condorcet et Mably, n’étaient pas de sérieux écrivains, parce qu’ils remplissaient leur verre avec les flacons au lieu d’aller puiser aux sources ? Est-ce que leurs écrits ne sont pas de l’or, parce qu’ils sont brillans, et que tout ce qui brille n’est