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de la plaisanterie fine, de la joyeuse humeur ! C’est là que nos admirateurs nous porteront sur leurs épaules et joncheront de fleurs notre chemin. Cela pourra bien nous coûter la vie : la noblesse nous donnera des festins à nous tuer, elle nous étouffera de caresses ; mais douce est la mort que cause l’amour. Voir le Hanovre et mourir ! Vedere Annovera e poi morire.

« Mais que sert tout cela ? J’ai parlé dans le désert. On va dire : un article humristique ! il n’y a rien à faire avec un tel homme. »

Ces conseils qu’il donnait si gaiement aux philosophes, Louis Boerne se les appliquait à lui-même. Ce n’était pas assez d’avoir fait une révolution dans le style, d’avoir ouvert la route à Henri Heine et à tous les écrivains de la jeune Allemagne ; ce n’était pas assez d’avoir popularisé, à force d’ironie et de vivacité charmante, toutes les questions d’esthétique, tous les problèmes de philosophie, toutes les théories libérales qui, jusque-là, ne se débattaient guère en dehors des universités et de leur littérature officielle ; malgré une certaine humeur misanthropique dont il ne se débarrassa jamais, Louis Boerne renouvelait sans cesse, au sein de la société même, les inspirations de son esprit. Il n’alla pas sans doute jusqu’à obtempérer aux désirs de son père, qui voulait encore, après des publications si hardies, lui ouvrir la carrière diplomatique ; il ne réclama pas, on le pense bien, les faveurs promises à son grand-père par l’impératrice Marie-Thérèse, et la destinée de Frédéric de Gentz, que sa famille entrevoyait déjà pour lui, ne l’éblouit pas un seul instant. Il aimait mieux s’inspirer selon son choix du commerce des hommes, gardant toujours la franchise de sa pensée et le libre mouvement de sa fantaisie. Il visita Berlin, il visita Munich, il passa à Paris les deux années 1822 et 1823. Les ébauches, les notes écrites par lui pendant ce séjour, forment tout un volume de ses œuvres et l’un des plus piquans. Quoique très sympathique à la France, il ne l’est pas encore autant qu’il le sera plus tard, et il ne nous ménage pas les critiques. Ces critiques, d’ailleurs, parfaitement sensées, ne s’appliquent plus à la France d’aujourd’hui. C’était le temps où s’éteignait la triste littérature de l’empire, et Louis Boerne, qui ne la croyait pas si malade, lui faisait l’honneur de l’attaquer énergiquement. Il serait curieux de comparer la jeune critique du Globe à ces spirituelles notes de Louis Boerne ; l’humoriste allemand s’y montre déjà comme un ami, comme un collaborateur de cette génération d’élite qui allait bientôt inaugurer, dans la philosophie et dans la poésie, dans l’histoire et dans la critique, le véritable génie du XIXe siècle. Il est aussi son auxiliaire dans les débats politiques. Les pages qu’il a écrites sur le ministère Villèle et sur l’entêtement des vieux partis doivent être rangées parmi ses plus beaux titres. Quelques années après, encouragé par les leçons de Louis Boerne, un disciple de Hegel qui, le premier, fit sortir la science de l’ombre des écoles et corrigea maintes fois la