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à sa patrie ? Singulière façon d’aimer la France et de propager au-delà du Rhin les bienfaisans principes de 89 ! Mais non, ce n’est plus de la véritable France, ce n’est plus de 89 qu’il s’inspire. Quand il combattait sous les drapeaux de Benjamin Constant, son style était le style d’un maître, et la généreuse ardeur de sa foi embellissait encore la race de ses discours. Il prêchait gaiement ses concitoyens ; il les tenait éveillés par les mille surprises de l’humour ; affectueuse comme celle de Jean-Paul, son ironie semait au fond des cœurs maintes pensées libérales qui s’épanouissaient sans peine. Maintenant que la démagogie nous l’a pris, il n’a plus que l’injure à la bouche. Les Allemands sont des lâches. L’Allemagne est le pays de la bassesse et de la stupidité. Dieu lui-même éclate de rire dans le ciel, quand il songe aux balourdises des peuples germaniques. Voilà ce que lui dictent ses croyances nouvelles. L’Allemagne ne se demanda pas si c’étaient là les inspirations de la France, ouù si Louis Boerne avait la fièvre chaude ; quand elle vit un publiciste formé à notre école, un missionnaire de 89, fouler aux pieds le sentiment sacré de la patrie, elle se détourna de nous avec fureur. La victoire de juillet avait porté l’enthousiasme au-delà du Rhin, et les deux peuples, oubliant le passé, entrevoyaient un fraternel avenir. L’histoire dira que les Lettres de Louis Boerne ont réveillé toutes les rancunes, ranimé toutes les haines et servi à souhait la diète germanique et la Russie. Merveilleux résultat qui détruisait l’œuvre de sa vie entière ! L’influence démagogique ne remporte jamais d’autres victoires. Lourde et stupide ivresse qui déchaîne la brutalité des masses grossières et déshonore les plus charmans esprits !

C’est à peine si Louis Boerne fut dégrisé par la fête de Hambach. La leçon était rude pourtant. Le 27 mai 1832, jour de la fête de la constitution bavaroise, une manifestation populaire eut lieu dans la Bavière rhénane, au pied du vieux château de Hambach, sur l’une de ces pittoresques hauteurs qui dominent le Rheingau. Des journaux violens, le journal du docteur Wirth et de M. Siebenpfeiffer, venaient d’être supprimés ; mais une association fut aussitôt formée pour la défense de la liberté de la presse ; les gazettes proscrites continuaient de paraître, et plusieurs des rédacteurs avaient été acquittés par les juges. La fête de Hambach avait pour but de fortifier cette association. Une foule immense se pressait au pied des ruines féodales. Les modérés et les violens, l’opposition constitutionnelle et le parti républicain y avaient fraternisé. On sait ce que c’est que la fraternité démagogique ; M. Wirth et ses amis firent si bien, que les chefs de l’opposition furent forcés de se retirer en protestant. Louis Boerne avait quitté Paris depuis l’automne de 1831 ; il courut à Hambach. Là, il se mêla à tous les groupes, suivit toutes les bizarres cérémonies de la fête et s’enivra de passions révolutionnaires. Il eut beau se montrer cependant, le héros de la fête