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était le docteur Wirth. Des étudians voulurent faire une ovation au publiciste de Francfort ; l’ovation fut maigre. Louis Boerne resta condamné à entendre les emphatiques, les interminables discours de cet honnête docteur qui, de sa plus grosse voix et de son style le plus lourd renvoyait à la France tous les outrages dont les Lettres de Paris avaient chargé l’Allemagne. Louis Boerne au-dessous du docteur Wirth ! Un esprit de cette valeur sacrifié au don Quichotte de la presse allemande C’est là, bien certainement, la plus cruelle punition qui pût être infligée au transfuge de la vérité et du bon droit. Louis Boerne parut ne pas le comprendre. Soit dissimulation de l’amour-propre blessé, soit obstination aveugle, il sembla content de cette fête, et raconta son triomphe dans le troisième volume des Lettres. Malheureusement le récit n’est pas complet. Hélas ! pourquoi l’ancien Louis Boerne avait-il disparu ? Quel tableau charmant, quelle peinture humoristique nous aurions de cette glorieuse fête de Hambach !

En se jetant ainsi au milieu des agitations révolutionnaires, Louis Boerne se manquait à lui-même ; il reniait la foi de toute sa vie. Que voulait-il en effet ? Je suppose que cette fête de Hambach ne soit pas une manifestation ridicule ; je suppose que l’émeute de Francfort, arrivée l’année d’après, ne soit pas, comme l’a spirituellement remarqué M. Saint-Marc Girardin[1], une émeute de pédans qui espèrent dominer l’Allemagne, parce qu’ils auront pris la salle où fut couronné Barberousse ; je suppose une insurrection sérieuse dans un grand centre, une insurrection où la victoire puisse donner quelque force, et je me demande ce que voulait Louis Boerne. Changer le pouvoir par un coup de main et imposer à un pays mal préparé je ne sais quelle révolution sans racines ? Ceux qui agissent ainsi sont de mauvais citoyens, car la situation qu’ils font à leur patrie est la plus fausse et la plus désastreuse qui se puisse imaginer ; mais si ce sont des penseurs, si ce sont des philosophes et des publicistes, je dis qu’ils sont doublement coupables, et je les nomme des renégats.

Il y a deux sortes de révolutions, celles qui se font dans la rue et celles qui s’accomplissent dans les esprits ; les unes précipitées et violentes, les autres progressives et cachées ; les unes qui sont l’explosion d’une colère soudaine, les autres qui ne s’arrêtent pas et marchent sans bruit par des chemins sûrs. Ce ne sont pas les plus bruyantes qui sont les plus fécondes. Qu’est-ce que l’histoire entière du genre humain ? Les anciens disaient de la pensée continuus animi motus ; on peut dire la même chose de l’histoire, c’est une révolution continue. Ce continuus motus, cette lente et infatigable révolution, c’est aux philosophes, aux législateurs, aux poètes même, c’est aux intelligences d’élite qu’il appartient

  1. Notices politiques et littéraires sur l’Allemagne.