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Sir’ ! c’est pitié qu’à la malheure
Ai rougi l’gazon du chemin
Avec mon pauvre sang qui pleure
D’ couler sans vous servir à rien.

— J’ai chanté ça bien des fois dans les friches quand je gardais le bétail, dit Ferret ; mais que le capitaine m’excuse, j’avais mal compris tout à l’heure. Quand il a nommé le vieux Guillemot, j’ai cru qu’il parlait du sorcier du Petit-Haule.

— Parbleu ! tu as raison, s’écria-t-il ; nous devons être dans son voisinage.

— Sa maison est sur notre route.

— C’est un drôle que je connais de vieille date, continua le capitaine en se tournant vers moi. Il a autrefois habité près de Formigny, et je sais sur son compte certaines histoires… Mais ici on a une confiance aveugle dans sa science ; on prétend qu’il réunit en lui tous les pouvoirs du grand carrefour : c’est le nom que l’on donne à la magie noire.

— Sans compter, dit Ferret, qu’il possède, soit disant, le cordeau merveilleux avec quoi on fait passer le blé d’un champ dans un autre champ, et le lait d’une vache à la vache voisine.

— N’a-t-il pas également le mauvais œil qui donne la fièvre ? demandai-je.

— Et les bonnes paroles qui la guérissent, répliqua le paysan. L’an passé, il a si bien charmé un homme de Trevières qui sentait déjà le dernier froid dans ses cheveux, qu’il a renvoyé sa maladie à un buisson, et que le buisson en est mort.

Je ne pus m’empêcher de sourire.

— Oui, oui, cela paraît ridicule, dit le capitaine en hochant la tête, et cependant, chez tous les peuples et à toutes les époques, on a reconnu l’existence des sorciers. Les Grecs et les Romains y croyaient. Tibulle parle d’une magicienne qui, par ses chants, attirait les moissons d’un autre domaine : Cantus vicinis fruges traducit ab agris. L’Evangile de Nicomède nous apprend que Jésus-Christ se livrait, dans son enfance, a des opérations magiques en modelant avec de la terre de potier des oiseaux qu’il animait. Innocent VIII dit textuellement dans un de ses édits pontificaux : « nous avons appris qu’un grand nombre de personnes des deux sexes ont l’audace d’entrer en commerce intime avec le diable, et par leurs sorcelleries frappent également les hommes, les bêtes, les moissons des champs, les raisins des vignobles, les fruits des arbres et les herbes des pâturages. » À Port-Royal, on avait les mêmes opinions. Marguerite Périer, nièce de Pascal, raconte, dans ses mémoires, qu’une sorcière jeta un sort sur son oncle lorsqu’il était enfant, et faillit le faire périr. Aujourd’hui tout cela nous paraît ridicule ; mais nous avons ri également de la seconde vue des prophètes, récemment expliquée