Page:Revue des Deux Mondes - 1849 - tome 1.djvu/630

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

magique. Ferret nous apprit que le seul moyen de les arracher à ce terrible supplice était d’aller droit à eux lorsque le hasard les mettait sur votre chemin, et de les frapper au front de trois coups de couteau en mémoire de la Trinité. Le capitaine ne manqua pas de me prouver à cette occasion, que l’existence des hommes-loups avait été confirmé par le témoignage de tous les siècles. Après m’avoir cité le mythologique Lycaon, il me parla de Déménitus qui, au dire de Varron, fut changé en loup pour avoir mangé la chair d’un sacrifice, et de la famille Autacus, qui n’avait qu’à passer un certain fleuve pour subir la même transformation. Il nomma ensuite les juges, les théologiens, les inquisiteurs, qui, pendant cinq siècles, pendirent ou brûlèrent des lycanthropes, lesquels se déclarèrent eux-mêmes justement brûlés ou pendus. Cependant, comme je n’opposais rien à ces preuves, il finit par douter un peu. En ne cherchant pas à démontrer qu’il avait tort, je le désintéressais en quelque sorte d’avoir raison.

— Après tout, dit-il, je ne donne pas la chose comme positivement certaine. Il serait possible qu’il y eût seulement une leçon dans l’histoire de ces hommes coupables changés en bêtes féroces. Le garouage peut être le symbole des remords : il représenterait, dans certains scélérats, l’incarnation des instincts, l’ame devenue visible. Les vieilles lois normandes disaient dans leurs imprécations contre les criminels : wargus habeatur (qu’il soit regardé comme un loup). Le peuple prend aisément l’image pour la réalité, du loup symbolique il aura fait un loup véritable.

— Ajoutez, repris-je, qu’il regarde les analogies comme des filiations. À une certaine époque, les campagnes, dépeuplées par les ravages des aventuriers, se couvrirent de bandes de loups, et les paysans, trouvant dans leurs nouveaux ennemis la férocité des anciens, pensèrent que ce devaient être ces aventuriers transformés. Au temps de la ligue, lorsque Guy-Eder ruina la Cornouaille, le bruit se répandit que ses soldats se changeaient en bêtes fauves après leur mort, afin de continuer leur guerre contre Jacques Bonhomme. Un vieux guerz que les berceuses chantent encore a conservé le souvenir de cette croyance.

Dodo, dodo, mon petit oiseau,
Voici maître Guillaume ! faisons dodo.

Dès qu’un enfant commence à crier,
Il arrive avec toute sa bande.

Cette méchante bande est plus nombreuse
Que n’étaient autrefois les chiens.

Une partie est formée de soldats,
L’autre partie de bêtes fauves.