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Michel continua sa route en riant ; mais, à son arrivée à la ferme il apprit que ses plus belles vaches venaient de se noyer dans la Blaise. Il ne voulut point encore reconnaître la puissance du sorcier.

— La cabane de Hublot, dit-il, est au bord de l’eau, il aura vu l’accident.

Cependant la vengeance de Pierre ne s’arrêta point là. Un premier débordement noya les prairies du fermier, un orage versa ses blés, la maladie tomba sur ses étables, où il vit mourir ses meilleurs attelages. Il eut beau redoubler de soins : si un nuage amenait la grêle, il s’arrêtait précisément sur ses pommiers ; si le vent brûlait un champ, c’était le sien On eût dit que le ciel avait fait les parts entre Michel et ses voisins : aux uns le sceau de la bénédiction, à l’autre celui de la colère. Chaque jour l’acheminait vers sa ruine. Les gens de loi, après l’avoir appelé en justice et fait condamner, se mirent à planter des pieux garnis de paille au milieu de toutes ses moissons, pour en annoncer la vente ; le percepteur des tailles, qui n’était point payé, menaçait de saisir les meubles et d’emporter, au besoin, les huis et fenêtres. L’orgueil de Michel finit par chanceler. Il avait espéré réparer ses pertes en épousant Marie-Jeanne, qui passait pour la plus jolie fille et la plus riche héritière de toute la sénéchaussée. Marie-Jeanne avait accepté la bague des fiançailles, et tout était convenu avec les parens ; mais, quand ceux-ci virent le brandon sur les meilleurs champs de Michel, ses crèches vides et les sergens toujours sur le chemin de la ferme avec des parchemins dans la ceinture, ils renvoyèrent les tailleuses qui travaillaient au trousseau et remirent la noce aux prochaines moissons. Ce fut Marie-Jeanne elle-même qui, en allant à la fontaine, annonça la triste nouvelle à Michel. Cette fois, il ne put résister au coup, et s’assit sur une pierre, la tête appuyée sur ses deux poings fermés. Sa dernière ressource lui échappait ; et avec elle ses plus douces espérances : il perdait en même temps la belle fille et la grosse dot. C’était trop à la fois. Comme tous les orgueilleux, il tomba brusquement du haut de son audace, et se laissa glisser sans résistance jusqu’au fond du désespoir.

Les femmes ont en général le cœur trop tendre pour ne pas trouver un peu de plaisir à vous voir malheureux ; c’est une occasion de consoler. Marie-Jeanne, appuyée sur sa cruche vide et effeuillant une branche de ronces, contemplait, du coin de l’œil, la douleur de son fiancé. Enfin, elle poussa un gros soupir, comme pour prendre le ton, et, interrompant les malédictions que murmurait le jeune fermier :

— Par grace, Michel ; taisez-vous ! Dit-elle doucement ; si vous vous plaignez si fort, vous ferez de Dieu notre ennemi. Ne savez-vous pas qu’il punit ceux qui se révoltent ?

— Et quelle punition pourrais-je craindre encore ! s’écria le paysan.