Page:Revue des Deux Mondes - 1849 - tome 1.djvu/640

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

eût traîné à sa suite les pluvieuses nuées. Il atteignit bientôt la cime du coteau où Françoise était accourue à sa rencontre. Tous deux restèrent alors isolés dans une sorte de nimbe, tandis que le reste de la hauteur était noyé sous le brouillard. La jeune pastoure parlait avec véhémence, joignant par instans les mains comme pour une prière, puis les portant à son front avec une expression de désespoir. Guillemot écoutait sans faire un mouvement. Deux ou trois fois il nous sembla cependant, à l’immobilité de la jeune fille, qu’il parlait à son tour ; mais ces paroles étaient sans doute douloureuses, car nous la vîmes étendre les bras avec l’angoisse suppliante d’une condamnée, puis cacher sa tête dans son tablier. Le sorcier continua sa route vers la cabane, où il disparut. Ferret, qui était resté jusqu’alors à la même place, les regards fixes, les lèvres tremblantes et tout le corps penché en avant comme prêt à s’élancer, jeta une espèce de cri et prit sa course vers le Petit-Haule.

— Ne le perdons point de vue, me dit vivement le capitaine, il y a ici quelque chose qui va mal.

Nous pressâmes le pas pour le rejoindre, mais il avait déjà tourné le sentier. Après avoir franchi rapidement la montée, nous courûmes à la maison de Guillemot. Celui-ci était tranquillement assis près du foyer éteint, en face de Françoise, dont le visage était marbré par les larmes, la poitrine haletante et les yeux baissés. Étienne Ferret se tenait entre eux, promenant de l’un à l’autre ses regards incertains et ardens.

— On ne pleure pas si fort pour une chèvre perdue, s’écriait Étienne au moment où nous parûmes sur le seuil, et ce n’est pas ici qu’on viendrait la chercher.

— Le jeune gars sait alors où elle est ? dit sèchement Guillemot.

— Je sais que la chèvre n’a pu venir du Chêne-Vert au Petit-Haule.

— Qu’importe, si c’est au Petit-Haule qu’on donne le moyen de la retrouver ?

— Ainsi, c’est pour avoir la parole qui guide que Françoise est venue ? demanda Ferret en regardant fixement la jeune fille. Celle-ci, dont notre arrivée avait encore augmenté la confusion, ne répondit point sur-le-champ ; mais, faisant enfin un effort :

— Je voulais parler pour cela… et pour autre chose…, balbutia-t-elle.

— Pour quelle chose ? répéta Étienne, dont le regard semblait rivé sur la jeune fille. Elle essaya de répondre, mais sa voix resta étouffée dans les larmes qu’elle retenait. Le capitaine s’entremit.

— Prétendrais-tu par hasard forcer une jeune fille à te répéter tout ce qu’elle peut demander aux liseurs de sort ? dit-il gaiement à Ferret ; ne sais-tu pas que les sorciers sont comme les prêtres ? Pour eux, elles