Page:Revue des Deux Mondes - 1849 - tome 1.djvu/659

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

étaient victimes en France, devaient sentir l’iniquité des proscriptions dont ils accablaient chez eux les catholiques. En un mot, comme fait matériel, la régularisation de l’antagonisme du principe d’autorité et de l’esprit d’initiative individuelle ; comme fait moral, la liberté religieuse, la tolérance, la discussion substituée à la force dans la lutte des croyances : voilà les résultats légitimes, heureux, que la civilisation a dégagés de la crise religieuse du XVIe siècle. Je n’en fais honneur ni au protestantisme ni au catholicisme, qui ont violé tous deux par leurs combats ces nobles lois morales que leurs combats mêmes devaient nous léguer ; j’en renvoie toute la gloire à l’esprit du christianisme, qui a mis dix-huit siècles à faire passer ces principes de justice et d’humanité dans les institutions et dans les mœurs de l’Europe.

Voir ainsi l’histoire du protestantisme et de la renaissance catholique au XVIe siècle, c’est en déduire la plus haute conciliation possible de l’autorité et de la liberté, c’est en tirer les conséquences les plus sympathiques au génie de notre temps : tout lecteur attentif trouvera cette conclusion dans le livre de M. de Falloux sur Pie V. Mais, après les secousses de la réforme, le principe d’autorité devait éprouver encore dans la religion et dans la politique des ébranlemens terribles : il avait à passer à travers la philosophie du XVIIIe siècle et à travers la révolution.

La tolérance, la liberté religieuse, l’affranchissement de l’homme dans sa pensée du joug des tyrannies politiques, l’épreuve de ses opinions religieuses, politiques et philosophiques par la discussion publique et libre, étaient des conséquences nécessaires de la révolution du XVIe siècle ; mais il s’en faut que ces conséquences fussent acceptées et, même aperçues des gouvernemens et des peuples long-temps encore après la fin des guerres religieuses. S’il est vrai que quelques esprits devancent leur époque, il est certain que, dans la marche de la civilisation, l’intelligence générale des sociétés est toujours en arrière du travail des faits. Les peuples mettent un siècle à poser un syllogisme, un autre siècle à le comprendre, un autre à le réaliser. Au XVIIIe siècle, Voltaire et les philosophes, instinctivement ou délibérément, se vouèrent à la défense de ces principes des sociétés nouvelles. Une si noble cause ne pouvait-elle triompher que par les attaques forcenées que la philosophie dirigea contre le christianisme ? C’est là l’éternel mystère de tous les excès, qui sont la mine et la sape des révolutions. On voudrait que le XVIIIe siècle eût ressemblé à quelques-uns de ses plus lumineux esprits, à des hommes comme Turgot ou Montesquieu, capables de réformer sans détruire ; mais, pour une pareille œuvre, pour rendre à l’ame humaine son indépendance en lui conservant sa foi, Voltaire, ainsi ni que l’observe M. de Falloux, Voltaire lui-même n’avait ni assez esprit ni assez de popularité. Encore une fois la parole prophétique