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extravagantes, passaient chaque jour, grace à lui, dans l’application, en prenant dans ses mains un caractère pratique, honnête et bienfaisant. Tout en respectant et en encourageant même l’initiative individuelle, il réalisait très largement le principe fondamental du socialisme, l’intervention de l’état[1]. L’état, sous le gouvernement de juillet, ne s’arrogeait pas le droit de dépouiller le capitaliste au profit du pauvre ; mais il donnait à celui-ci le capital par l’institution des caisses d’épargne, cette admirable capitalisation du travail parcellaire. Il n’exigeait pas un milliard des riches pour le distribuer aux ouvriers ; mais il jetait à ceux-ci, sous forme de travaux publics, deux milliards qui faisaient sortir d’autres milliards de la caisse des compagnies ; des départemens et des communes. Il ne proclamait pas le droit au travail et à l’assistance ; mais il donnait le travail, ce qui vaut encore mieux, et il allait donner l’assistance par la fondation d’une caisse de retraite pour les ouvriers, lorsque la révolution est venue dénaturer et plus tard paralyser cette vaste et pacifique application du socialisme. La monarchie de 1830, en un mot, accouplant des principes et des résultats que les hommes de février ont eu le talent de rendre incompatibles a réalisé, pendant dix-sept ans, l’organisation du travail sans despotisme, l’égalité sans spoliation, la fraternité sans coups de fusil. Quel progrès nous refusait-elle donc ? Un seul, et c’est par là qu’elle a péri : la réforme électorale. Mais le besoin de droits politiques était-il aussi impérieux chez les masses qu’on a bien voulu le prétendre ? Dans ce cas, ce semble, elles auraient dû se montrer reconnaissantes et empressées pour la révolution, et cependant elles ont débuté par la réaction, pour continuer, je le crains bien, par l’indifférence. La réforme électorale ne s’accomplissait-elle pas d’ailleurs chaque jour de fait sous l’ancien système ? L’augmentation que je signalais plus haut dans le nombre des cotes pour une période de sept ans a été de 10 à 22 pour 100 pour les cotes supérieures à 50 francs, c’est-à-dire pour les catégories qui correspondaient aux divers degrés de l’électorat. Sous l’influence de ce progrès, qui s’étendait à toutes les autres branches de la propriété, la liste seule des électeurs parlementaires s’est grossie, en quinze ans, de soixante-dix-sept mille nouveaux noms, chiffre supérieur de cinq mille à l’augmentation produite par la réforme de 1831, qui avait réduit le cens électoral d’un tiers. Était-ce un régime bien restrictif, celui qui, sans agrandissement artificiel, par le fait seul de son élasticité, ouvrait un si large accès au développement de la vie politique ? La grande, l’unique faute de la monarchie de juillet, c’est de s’être laissé enlever, par des résistances gratuites, tout le mérite d’un

  1. M. L. de Lavergne a déjà très finement indiqué, dans la Revue du 15 juin 1848 (le Libéralisme socialiste), l’œuvre socialiste du gouvernement de juillet.