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historiquement, parce que l’action politique des classes dont elle a pressé l’avènement était la conséquence logique de tout le travail de notre histoire et l’achèvement nécessaire de la nationalité française.

Les événemens révolutionnaires se sont précipités avec une nécessité sur laquelle la liberté humaine était impuissante ; la révolution va toute seule, disaient les contemporains. Le monde moral et le mouvement des sociétés sont soumis à certaines lois aussi fatales que celles du monde physique ; l’intelligence et la liberté de l’homme ne peuvent se mouvoir que sous l’empire de ces lois ; elles sont obligées, dans les institutions et dans les gouvernemens des peuples, de combiner les forces fatales du monde moral, comme l’ingénieur, pour produire la machine la plus puissante et la plus obéissante, combine les forces aveugles du monde matériel. L’autorité est la force de pesanteur qui maintient la cohésion des peuples. Depuis long-temps, l’autorité n’avait plus, en France, ses vrais ressorts, et ne s’appuyait plus sur des institutions capables de contenir les intérêts et les idées. Dès la fronde, suivant le mot pittoresque du cardinal de Retz, on chercha comme à tâtons les lois, et l’on ne les trouva plus. La magnanimité de Louis XIV en tint la place pendant près d’un siècle ; mais dans Louis XV l’autorité perdit son dernier prestige, le respect. Dans Louis XVI, elle se suicida. La digue factice devant laquelle s’arrêtaient encore les idées nouvelles et les intérêts nouveaux s’évanouit le jour où se réunit l’assemblée nationale. Dès-lors toutes les forces aveugles de la société s’échappèrent de toutes parts, et ne purent plus être maîtrisées que lorsqu’elles se furent épuisées elles-mêmes dans leur lutte mutuelle. Du moment où la prise de la Bastille et les journées des 5 et 6 octobre eurent montré la toute-puissance des masses soulevées, les catastrophes révolutionnaires devenaient des faits aussi inévitables que la courbe décrite par un projectile. Il fut aussi impossible de prévenir les éboulemens qui détruisirent la vieille société que de retenir et de guider l’avalanche sur la pente des abîmes.

Légitime dans ses fins, dominée par la nécessité dans l’enchaînement de ses phases générales, la révolution peut-elle être justifiée dans ses crimes ? Mille fois non. Bien loin d’être relâchée dans les temps d’emportemens révolutionnaires, la responsabilité qui pèse sur les hommes n’est jamais plus sévère. Comment en serait-il autrement ? Dans un temps où chaque parole, chaque acte, ont un retentissement si rapide, si vaste, si terrible ; dans un temps où la faute d’un seul multipliée par l’ignorance et la démence de milliers d’hommes peut devenir un crime social, comment ne demanderait-on pas aux hommes politiques un compte plus rigoureux de leurs doctrines et de leur conduite ? Quoi ! c’est parce qu’alors le moindre souffle devient tempête, que vous excuseriez ceux qui sèment les vents ! C’est parce que alors l’homme n’est