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graduel des institutions populaires et le mâle exercice de la vie politique, à l’idéal de toute nation libre, monarchique ou républicaine, — le gouvernement des citoyens par eux-mêmes, — ne se sentaient pas d’aversion absolue pour une forme de gouvernement qui a souvent honoré l’humanité, ne fût-ce que la confiance excessive qu’elle lui témoigne. La république n’avait pas uniquement à leurs yeux la figure sanglante de 93 : toute république n’était pas nécessairement coiffée d’un bonnet rouge ; il y avait la brillante république d’Athènes et la république de Washington, avec sa simplicité digne et sa prospérité grandiose. Sans contredit, plus d’un doute, plus d’une crainte subsisteraient dans nos esprits : nous nous demandions avec anxiété comment on allait remplacer dans le pays de Louis XIV et de Napoléon la maîtresse pierre qui avait soutenu l’édifice ; nous nous inquiétions de savoir comment s’exercerait, sans royauté, sur cette lave en ébullition qui gronde au fond de toute société, la pression salutaire d’un pouvoir unique et permanent. Mais nous apercevions tant de confiance sur le visage des nouveaux docteurs, tant de dédain pour les institutions tombées se faisait jour dans leurs paroles ; ils nous disaient si haut que, pourvu qu’on les laissât faire et qu’on ne s’en mêlât surtout pas, la république allait sortir tout organisée de leur cerveau, que la France, stupéfaite de tant d’aplomb et à moitié convertie par tant d’assurance, se croisait les bras et les laissait faire.

Près d’un an s’est écoulé aujourd’hui : pendant dix mois, tous les républicains de naissance ou de conversion, néophytes touchés de la grace ou saints revêtus encore de la pureté originelle, ont pu développer à leur gré tous les principes de leur gouvernement de prédilection. Une constitution a été faite et discutée, sinon avec maturité, du moins avec lenteur. Celle-là du moins n’a pas été bâclée, et si le temps fait quelque chose à l’affaire, ce n’est pas le temps qui lui a manqué. Rien n’a troublé cette expérience, pas même ces incidens qui, d’ordinaire, viennent si facilement en aide aux révolutionnaires dans l’embarras. Il n’y a pas eu le plus léger de ces prétextes dont les conventions nationales se montrent habituellement si prodigues pour maintenir sans terme les situations provisoires, pour appeler la dictature en aide à la liberté et les lois d’exceptions au secours de la justice. Cinquante mille hommes ont veillé au repos des délibérations. Les factions elles-mêmes ont fait quelque trêve, comme si elles se doutaient que nos législateurs constituans faisaient leurs affaires, et qu’il ne fallait pas gêner de si bonne besogne. Nous avons donc sous les yeux le chef-d’œuvre, élaboré à loisir, de la science républicaine de nos faiseurs de républiques. Qui croirait que nous sommes encore, autant et plus peut-être qu’au premier jour, à cent lieues de comprendre ce que c’est que le gouvernement républicain, ce qui constitue son essence, et sinon ce qui fait sa force, du moins ce qui tempère ses infirmités, les conséquences