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suffrage universel, — dans un jour surtout où, en abdiquant, il vient de donner à l’opinion le gage de sa condescendance ; mais il est évident qu’il n’eût pas répondu aux exigences démocratiques de la situation antérieure et aux vœux de ceux qui s’étaient spécialement chargés de le convoquer, s’il ne l’eût emporté sur les chambres du privilège par un nombre beaucoup plus grand de médecins sans malades, d’avocats sans cause, de gens de lettres et de journalistes. Ce n’est point nous qui voudrions médire de ces professions aussi respectables que pas une ; comment néanmoins se dissimuler qu’une des causes du respect qu’elles inspirent, c’est l’abnégation quelles imposent, res angusta domi ? Or, si habitué qu’on soit à la maison étroite, il est bien difficile de ne pas prendre plaisir à la voir élargie, et peut-être est-il plus difficile encore de se résoudre à la resserrer après ce peu d’aise. Le mandat national dont le député est investi pousse sans doute à l’héroïsme ; mais les inspirations héroïques ne pouvaient point ne pas s’amollir au contact de l’indemnité nationale. L’indemnité est un don du peuple, et l’on découvrait tant de raisons de s’y attacher ! Ceux qui auraient été capables de s’y attacher, par cette raison simple qu’elle est en beaux écus comptans, n’avaient-ils pas, pour couvrir leur infirmité, la haute raison des fortes têtes politiques ? Selon cette raison supérieure, l’indemnité ne devait-elle pas demeurer long-temps encore aux mains qui la palpaient, parce que ces mains-là seules étaient faites pour sauver l’institution républicaine ? Le bel éloge de la république !

C’est cependant cette persuasion qui animait une partie considérable de l’assemblée, c’est au nom de cette suprême nécessité du salut général qu’on essayait de rallier les groupes flottans, de former les gros bataillons, d’enlever une majorité avec laquelle on pût résister de front au vœu manifeste du pays. Le pays n’est pas assez mûr pour nos idées, Continuons quand même son éducation ; les jambes lui manquent pour marcher de conserve avec nous, ne lui lâchons pas nos lisières : voilà tout le fond de la doctrine, là où la doctrine était autre chose que le vêtement hypocrite d’intérêts moins stoïques. Quant à nous, soyons sincères, nous avons le goût et le droit de l’être. Ce n’est point notre mission la plus directe de défendre la république pour elle-même, puisque nous n’avons jamais prétendu de part à son enfantement ; nous y tenons comme les honnêtes gens qui ne conspirent pas tiennent aux pouvoirs établis qui ne sont point de leur fait. Nous ne disons pas que ces pouvoirs nous charment ou nous rassurent beaucoup, nous disons seulement que nous leur souhaitons de s’améliorer plutôt que de se détruire De ce point de vue, à coup sûr fort impartial, nous félicitons l’assemblée constituante d’avoir enfin aujourd’hui voté sa dernière heure ; nous prétendons qu’elle aura par là servi la cause de la république autant qu’elle la gâtait en s’obstinant à prolonger sa tutelle. Les longs parlemens n’ont jamais porté bonheur au drapeau dont ils se proclamaient les gardiens exclusifs, nous posons de bonne foi cette unique question aux ardens zélateurs qui tâchaient, par tous les moyens, de retarder l’avènement de la législative : — Quel est, en conscience le titre le plus efficace qui ait recommandé la constituante à l’amour du pays, au temps même de sa plus grande popularité ? Est-ce la constitution promulguée en décembre, ou d’avoir été jusqu’en décembre le seul rempart qui nous ait à peu près protégés contre l’anarchie ? N’est-ce pas la lutte soutenue contre l’anarchie matérielle qui, malgré plus d’une