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défaillance, a fait pardonner tout ce que les auteurs de la charte républicaine avaient laissé d’anarchie morale dans leur œuvre ? Cette œuvre a-t-elle un moment soulevé ces transports publics dans lesquels on ferme les yeux sur les défauts d’une’institution pour se mieux livrer à la joie de l’avoir conquise ? où sont les enthousiastes qui n’en aient pas aperçu dès l’abord les contradictions et les inconséquences, qui n’en aient pas d’avance deviné les côtés faibles qui n’aient pas su de science certaine par où tout l’édifice pouvait péricliter ? Mais la constitution, en somme, c’est la république, et lorsque la constituante s’en allait provoquer de gaieté de cœur ces périls que tout le monde voyait en l’air au-dessus de son monument, lorsqu’elle se heurtait à l’étourdie aux endroits qui sonnent creux, lorsqu’elle se pressait d’éprouver la solidité de sa construction en choisissant tout de suite les ressorts les plus fragiles pour les fatiguer davantage, qu’est-ce que la république pouvait gagner à tout cela ?

Songez un peu ! La constitution dit que le président de la république n’est pas nommé par l’assemblée des représentans du pays, mais par le pays lui-même, et la constitution dit cependant aussi que le président de la république ne peut pas dissoudre l’assemblée des représentans. Les deux grandes autorités qui dominent tout l’état républicain n’ont donc pas prise l’une sur l’autre, elles ne s’engrènent pas, et si le malheur veut qu’elles ne fonctionnent pas d’accord par une sorte d’harmonie préétablie, la machine s’arrête aussitôt, parce qu’aucune de ses deux roues ne peut remettre l’autre en branle. N’est-ce pas là vraiment un inconvénient capital, et la situation, telle qu’on s’appliquait à la tendre jusqu’à cette dernière bataille qui vient de la résoudre, n’était-elle pas éminemment propre à placer l’inconvénient en pleine lumière ? Dans la situation donnée, l’assemblée datant du 4 mai et le président du 10 décembre, le président et son conseil étaient d’avis que cette différence de dates en un temps où l’on passe si vite impliquait une différence d’idées et d’humeur incompatible avec la pratique régulière et normale de la constitution. La constituante n’avait pas été nommée pour faire un président, tout au plus même pour faire la république ; la constitution, au contraire, veut une assemblée qui s’accommode à la fois et d’une république et d’un président : c’est bien le moins qu’on la choisisse exprès, et la meilleure manière de mettre la constitution en vigueur, ce n’est point d’entasser sur elle les lois organiques, comme Pélion sur Ossa, c’est d’obtenir de la constituante qu’elle appelle la législative. La constituante n’a qu’à se comporter comme le philosophe devant qui l’on niait le mouvement : il se leva et marcha. On ne croit qu’à moitié à la constitution ; il y faudra bien croire tout-à-fait dès l’heure où elle manœuvrera tout entière : la constituante n’est que la révolution en permanence ; la législative est la constitution en exercice. L’assemblée, résignée maintenant à subir un destin qui n’a rien après tout que d’ordinaire, a peut-être attendu trop tard pour se rendre aux raisonnemens de sens commun qui la serraient de si près, et la sommaient logiquement d’ouvrir la porte à l’avenir. Si l’on n’a plus une absolue confiance dans ce nouvel avenir constitutionnel, à qui la faute ? n’est-ce pas aux constituans qui s’acharnaient à le reculer, et qui, dans leur aveuglement, en ont marqué toutes les difficultés à force de se buter contre chacune d’elles ?

L’assemblée s’en ira-t-elle ou ne s’en ira-t-elle pas ? Telle était la question et la question certainement était assez délicate pour qu’on n’aimât pas à se l’a-