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dresser soi-même ; on était encore moins ravi de se l’entendre adresser par d’autres. Le ministère, que la simplicité brutale du mécanisme républicain obligeait à la poser sans intermédiaire devant une assemblée ombrageuse, ne pouvait pas se dissimuler qu’il n’y avait pas de quoi lui gagner les cœurs. Allez-vous-en ou même, lui répondaient les échos de l’assemblée sur tous les tons du diapason parlementaires et c’était assurément très naturel. Ce qui l’est moins, c’est que l’intrigue des coureurs de portefeuilles se soit démenée de plus belle à travers cette grande émotion, et que, par-dessous les masses agitées de cette assemblée qui ne voulait point partir, il y ait toujours eu les ministres en expectative qui voulaient arriver. Nous suivons avec une patience résignée cette chaude compétition, probablement tranchée par le scrutin d’aujourd’hui ; nous ne nous lassons pas de la raconter, malgré quelque dégoût, parce que nous jugeons utile de faire valoir ainsi les efforts plus ou moins platoniques de ces bons serviteurs qui espéraient s’atteler quand même à nos affaires.

M. Billault cependant, c’est une justice à lui rendre, n’a pas reparu de tous ces jours-ci. Il a déposé son rapport sur la loi électorale, dont la première lecture n’a donné lieu à aucun incident, et il est rentré dans sa tente, laissant au demeurant sa place bien gardée. La lutte s’engageait d’ailleurs sur un terrain qui ne va point précisément aux habitudes de sa polémique parlementaire : M. Billault ne plaide qu’avec des dossiers en forme, et c’est un avocat trop habile pour s’engager de sa personne dans les récriminations nuageuses des enquêtes. Le vent était aux poursuites criminelles : M. Billault ne veut pas mort d’homme. Ces haines vigoureuses ne sont pas à la portée de tout le monde ; il faut, pour les ressentir à fond, des ames intrépides comme celles de l’ancien rédacteur du National et de l’éternel directeur du Siècle. Il n’a pas tenu à M. Armand Marrast et à M. Perrée que le ministère ne fût atteint et convaincu de toute sorte de crimes dont l’assemblée n’aurait plus eu qu’à tirer vengeance.

On se rappelle peut-être que la montagne avait lancé coup sur coup, contre le ministère, une double proposition de mise en accusation et d’enquête parlementaire. Le ministère était décrété de suspicion pour avoir empêché jusqu’au moindre tumulte le 29 janvier ; il était mis en accusation pour avoir entrepris de fermer les clubs quelques jours avant celui où les clubs se préparaient à renouveler leurs exploits de l’année dernière. La mise en accusation n’a eu qu’un très pauvre succès, nonobstant les airs convaincus de M. Ledru-Rollin : 200 voix de majorité l’ont écartée des bureaux, où certaines personnes qui, pour n’être pas radicales, n’en sont pas moins complaisantes, en auraient sans doute laissé faire quelque chose. Portée au comité de la justice, cette singulière proposition y a été bel et bien enterrée, quoique le terrible citoyen Saint-Gaudens ait protesté qu’il n’avait pas voulu signer l’acte d’accusation, tant il le trouvait incomplet. Il eût été malheureux pour le patriotisme éclairé de la montagne que l’enquête réclamée par ses cinquante voix n’eût pas de plus éclatante destinée. M. Marrast s’est employé de son mieux à lui épargner ce déboire. M. Marrast, qui a été aujourd’hui même installé de nouveau dans le fauteuil de la présidence, s’est cependant, petit à petit, habitué à présider pour ses amis et non pas pour tout le monde. Il paraît du reste qu’il a une majorité qui ne trouve point désagréable de conduire en famille les délibérations de l’assemblée, car elle a pris récemment encore tous les secrétaires dans une même nuance. M. Marrast se fait chaque jour davantage