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mettait à ne pas solliciter la popularité. Cette arrière-pensée qui poursuivait le duc de Nemours n’a jamais altéré, du reste, son dévouement de prince et de fils. Louis-Philippe a toujours eu en lui une confiance sans bornes. Le vieux roi avait-il entrevu cette nuance dont je viens de parler, et n’y faisait-il pas une bienveillante allusion lorsqu’il disait récemment à un membre de l’ancienne majorité : « Nemours était de tous mes fils, sans excepter mon pauvre d’Orléans, le plus capable de mener les affaires ; mais il aurait dû naître archiduc ! » En sa qualité d’aîné, M le duc de Nemours avait pris les rênes de la petite colonie de Claremont.

Le prince de Joinville et le duc d’Aumale, que l’opinion traitait en favoris, ont beaucoup plus à regretter. Ils avaient cependant accepté sans trop d’émotion, et comme une nécessité révolutionnaire fort explicable, le décret de proscription lancé contre eux par le gouvernement provisoire. En revanche, la sanction pure et simple donnée à ce décret par l’assemblée nationale les a profondément attristés. Ils avaient compté, sinon pour leur rappel prochain, du moins pour un adoucissement à la mesure qui les atteignait, sur l’immense réaction qui s’était manifestée dans les collèges électoraux contre la politique exclusive et violente des républicains de la veille. Cette première impression, dont le duc d’Aumale a peu à peu triomphé, a dégénéré chez le prince de Joinville en une sorte de nostalgie irritable, qui s’explique autant par le caractère du jeune amiral que par son état maladif. Le duc d’Aumale sait vivre en lui-même ; mais le prince de Joinville a besoin de vie extérieure. Le premier serait, dans toutes les positions, l’homme de l’étude et de l’intimité ; le second est homme des brillantes aventures et cette soif d’éclat, de dévouemens bruyans et glorieux qui, dans l’action, peut faire les héros, fait, hélas ! aussi, dans l’inaction, les cœurs découragés. Le prince de Joinville essaie d’échapper à cette situation morale par mille projets qui ne servent qu’à la trahir. Il a tour à tour songé à demander du service dans la marine des États-Unis, fonder une exploitation agricole en Amérique, à affermer une pêcherie en Écosse. Il y a quelque temps, les ducs de Nemours et d’Aumale paraissaient disposés à s’associer à ce dernier projet.

MM. Guizot, Duchâtel et Dumon, les trois principaux ministres du 29 octobre, qui ont fixé leur résidence de l’autre côté du détroit, faisaient, cet été, trois ou quatre visites par mois à Claremont. M. Guizot, quand il est à Londres, habite dans les solitudes semi-villageoises du faubourg de Brompton, une modeste maisonnette ou il consacre à l’étude tout le temps qu’il peut dérober à des relations fort étendues. Il ajoute en ce moment à l’histoire des révolutions d’Angleterre deux volumes, exclusivement consacrés à l’époque républicaine, à Cromwell, et qui nous promettent de piquantes digressions sur les événemens du