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RÉDEMPTION. 709 se leva et me suivit tranquillement. Le soir même, je pris chez moi une vieille femme de charge de ma mère pour me seconder dans mes projets d’éducation. Après m’avoir conseillé sans succès de mettre Tenfant dans un hôpital, elle se résigna en me riant au nez et en haussant les épaules. Quelques jours après, comme je lui parlais à mon tour de faire entrer Marguerite dans un pensionnat, la bonne femme m’appela sans cœur et me dit que j’étais indigne du cadeau que le bon Dieu m’avait fait. ERLOFF. J’aime ces détails simples, et je propose un toast à cette matrone. MADELEINE. Je vous propose, moi, de vous taire ou de vous en aller. MAURICE. Marguerite continua de vivre entre nous deux; vrai cadeau du bon Dieu, en effet! C’était un singuHer caractère d’enfant, plein de fierté et de douceur, d’in- telhgence emportée et de tendresse muette. Jamais elle ne me dit un mot de remerciement; mais, à la fin des leçons de toute sorte que je lui donnais de mon mieux, elle me payait d’un regard profond et rapide qui me laissait tout at- tendri. Je passai ainsi près de cette chère créature deux années auxquelles je ne puis rien comparer dans ma pensée, pas même l’ivresse qui attend l’un de vous,. messieurs, dans un instant. SHEFIELD. Je proteste. MAURICE. Il y a dix-huit mois, la santé de Marguerite s’altéra; sa pâleur devint plus mate; ses grands yeux paraissaient grandir encore. Elle ne souff’rait point, mais elle s’aff’aiblissait de jour en jour. On me conseilla de lui faire prendre les eaux, et je l’emmenai à Aix-la-Chapelle. J’eus le bonheur de trouver là un jeune mé- decin qui nous prit en affection, cette enfant et moi. Le voyage l’avait fatiguée; elle se mit au lit en arrivant; elle avait le délire, et m’appelait toujours sans me reconnaître. L’idée me vint alors pour la première fois que je pouvais la perdre. Le médecin me rassura cependant; il me dit que la maladie avait pris heureu- sement un caractère aigu, et qu’on pouvait espérer une crise salutaire vers le dixième jour. Ce dixième jour arriva sans que j’eusse dormi une heure ni versé une larme; vers le soir, elle me reconnut, et, voyant la fenêtre ouverte, elle de- manda à se lever, disant qu’elle se sentait ressuscitée. Le médecin, notre ami, qui ne nous quittait pas, m’aida à la porter sur le balcon. Je n’oublierai jamais cette soirée : c’était à la fin de juillet; des fenêtres de l’hôtel que nous habitions, on voit une haute coUine chargée de rians bosquets; le soleil s’éteignait peu à peu derrière les vignes; des groupes d’étudians et de jeunes femmes gravissaient les sentiers verts ou étaient assis sous les tonnelles; leurs chants de fête et d’a- mour s’élevaient et mouraient au loin. Je tenais la main de Marguerite dans les miennes, et je l’entendais murmurer faiblement les refrains que la brise nous apportait par intervalles. Alors mon cœur se fondit dans une faiblesse de bon- heur, et je demeurai long-temps sans voix et sans pensée, pleurant comme un enfant. Tout à coup le jeune médecin, qui était à mes côtés, tressaifiit et posa doucement sa main sur mon épaule; je le regardai : il était livide : je regardai