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les cheveux épars et en brandissant le billet de Pitt ; — mais c’est Pitt qui m’a pris ma légitime : j’y avais droit à ma majorité.

— Est-ce que vous serez jamais majeur, mon vieux amour. Dépêchez-vous de commander notre deuil. Vite un crêpe à votre chapeau ;… nous partons jeudi.

— Je n’ai pas l’intention d’y aller.

— Moi, j’irai très-certainement. Il faut bien que lady Jeanne Pitt me présente à la cour l’année prochaine ? Est-ce que je ne vous ferai pas nommer membre du parlement par votre frère, mon pauvre bonhomme ? Est-ce que je ne vous ferai pas consul ou secrétaire d’état en Irlande ou quelque chose dans ce genre-là, mon chéri, mon vieux nigaud ?

— Les chevaux de poste coûtent diablement cher !

— Nous irons par la voiture publique ; c’est plus modeste, cela leur fera plaisir.

Rawdon obéit comme toujours. Il croyait à sa femme comme les soldats de Napoléon à leur général.

Déjà quand ils partirent, le petit salon élégant de Curzon-Street était devenu le rendez-vous de quelques membres choisis de l’aristocratie. On admirait la spirituelle Rébecca, bonne enfant, habile musicienne, charmante pour tous, pleine de séductions et de finesses. Les élégans se pressaient autour de sa voiture ; les portes de sa maison s’ouvraient aux barons et aux vicomtes ; les fournisseurs livraient leurs marchandises sans la moindre inquiétude, et elle réussissait dans son sublime tour de force : tenir grande maison et ne rien dépenser. Tout allait bien ; l’étoile montait. Elle avait chevaux, équipage, femme de chambre, cartes de visite avec ses armoiries, loge à l’Opéra, stalle séparée à l’église, et même cet accessoire indispensable de la femme à la mode, la dame de compagnie.

Une dame de compagnie en effet, dans cette position, est aussi nécessaire que le Brougham ou le bouquet. Que j’admire ces tendres créatures qui ne peuvent vivre sans répandre leur affection sur quelque objet, et qui ont soin de choisir pour amie une femme affreusement laide ! L’aspect de l’inévitable acolyte en robe fanée, assise à l’Opéra derrière le fauteuil de leur amie, ou en voiture sur le siége de devant, a toujours été pour moi une leçon morale, comique et lugubre, — quelque chose comme la momie que les Égyptiens faisaient asseoir à leurs banquets. Les plus ridées et les plus antiques cherchent une personne moins jeune qu’elles. Les plus hardies protégent leur innocence sous ce chaperon. « Oui, dit M. Thackeray, mistriss Firebrace elle-même femme impudente et belle, sans scrupules et sans cœur, dont le père mort de honte ; — la charmante, l’intrépide mistriss Mantrap, elle qui ne recule devant aucune course au clocher, et force les sangliers à la course, pendant que sa mère tient une boutique à Bath ; — ces dames